jeudi 14 février 2019

 René et moi, nos vacances d’été à la fermette de marraine Esther…
« - Vous voyagez avec des femmes !...

Et en cette fin des années quarante sur le petit quai de Corroy-le-Grand, des moments de bonheur qui se renouvelleront chaque été, aux grandes vacances jusqu’à notre adolescence.   
  La voie ferrée du tram vert, venant de Chaumont-Gistoux, tirée par la petite locomotive à vapeur (plus tard l’autorail jaune diesel), longeait le ruisseau, baptisé « le Train » qui coulait à moins de 20 mètres du porche de la fermette.  Nous sautions avant l’arrêt pour nous précipiter dans les bras rugueux de marraine Esther, septuagénaire, l’aînée d’une fratrie de douze enfants dont Georges, notre grand-père (que nous n’avions pas connu), en était le cadet.  On s’empressera de découvrir la basse-cour, les poules, les agneaux gambadant, les petits cochons à peine nés et les vaches paisibles occupées à ruminer.

 Vers mes vingt ans, ayant acquis une Harley Davidson (elles se vendaient pour rien à l’époque, venant des stocks de la gendarmerie qui les remplaçait régulièrement), accompagné de Lydia, ma fiancée, nous sommes descendus à Corroy-le-Grand.

   Les deux grands-tantes, Esther et Élise, devenues veuves, vivaient ensemble.  Hélas !  Alzheimer pour Esther qui fit visiter gentiment le potager à ma compagne.  Par contre la tante Élise, je ne l’avais pas encore dit, avait gardé son mauvais caractère.
« - Vous voyagez avec des femmes !, s’exclama-t-elle, comme seul bonjour.  C’est vrai qu’elle pouvait m’en vouloir.  Au moins cinq ans sans ne plus aller la voir, l’ingrat que j’étais, malgré tout l’amour qu’elle nous prodigua à René et moi quand nous étions des mômes.

  Mauvais caractère,  depuis sans doute que feu son mari, notre oncle Richard Dorval, qui nous adorait ;  qui nous offrait des jouets, fabriqués de ses mains ;  qui nous portait sur ses épaules jusqu’à la Grande foire du Midi,  ou, nous emmenait en tram,  jusqu’à l’Hippodrome de Boitsfort -  gérant de l’agence Rossel ( comptoir pour les  paris sportifs, football et  courses hippiques),   rue Théodore Verhaegen à Saint-Gilles –  cet homme que nous aimions tant, suite à une aventure extraconjugale ! Qu’est-ce qui peut passer dans la tête d’un homme pour tromper une femme pourtant si belle?     Tout en continuant à vivre ensemble sous le même toit, nous souffrions de cette ambiance glacée, sans la moindre conversation, sauf parfois quelques mots haineux.  J’avais quinze ans, en interne au Collège Sainte Gertrude à Nivelles, occupé à chanter sur la scène dans le réfectoire, transformé en salle de fêtes, devant les frères-abbés- professeurs et les élèves réunis :

« Quoi de plus doux de plus tendre que le cœur d’une maman 
/ Qui donc sait mieux nous comprendre, consoler tous nos tourments »,

lorsqu’apparurent ma mère et mon père pour annoncer le décès d’oncle Richard.    Âgé de soixante-trois ans, ce sosie de Sacha Guitry, disparu depuis quelques jours, fut retrouvé à la morgue de l’hôpital Molière.  Sa maîtresse l’y avait conduit mourant.   Qu’est-ce que j’ai pleuré alors !  Peut-être un peu pour ce gentil oncle et parrain de Claudine, la petite sœur, mais surtout suite à l’émotion de cette maman qui entrait à l’improviste pendant mon interprétation de cette chanson.

Un chien seul sur une île déserte !

 C’est vrai, qu’on peut être ingrats, nous les enfants. Combien d’années étaient passées sans que j’aille voir cette vieille tante avec un petit bouquet à la main !

  Non, fier comme un gendarme se pavanant sur sa moto rutilante et en plus avec cette créature trop maquillée au goût de l’octogénaire, j’arrivais à l’improviste!   Je dois préciser qu’on n’usait pas du « Tu » chez les Fronville.  Trente ans plus tard, il m’arrivera de balader mon chien dans ces lieux où s’étendaient les champs de blé à perte de vue, qu’au loin des rangées de peupliers semblaient vouloir délimiter.  Gentils souvenirs aussi, ces dimanches après-midis après les vêpres où Monsieur le Curé, comme le disait avec respect les villageois d’alors, conduisait les enfants sages du village, en remontant d’abord la vieille chaussée romaine jusqu’aux chemins de terre des environs, pour nous plonger avec délice dans cette immense mer de blés d’or vibrante sous le vent. Près des meules de foin nous jouions à cache-cache en taquinant Bobette, la seule fillette qui avait eu l’audace de nous accompagner.  Du curé de campagne, je composerai au début des années quatre-vingt-dix une chanson sur une petite île déserte des Caraïbes ; et une autre juste après : « le Paumé ».   Car il fallait l’être pour imaginer une telle complainte, sur une plage où j’avais décidé de passer la journée pour récupérer un chien abandonné.

-      Ola Jojo !  Tout cela devient hard.  D’abord ton titre « J’avais tout faux » où tu parles de ton épouse qui aurait trois ans à vivre…que fou de douleur, comme un limier tu te lances à la recherche pour trouver les causes de sa maladie…On peut comprendre que tu fasses un bond depuis ta naissance pour un peu te décrire : les bombardements à Bruxelles pendant l’occupation allemande,  le voyage en train vers le Portugal,  avec les croquis dessinés par ton père, de l’implantation de cette usine réquisitionnée par la Luftwaffe dans tes couches culottes… le  retour après la guerre de ta mère avec toi et ton frère et ce mauvais passage à Nivelles …les mômes qui sautent du vicinal à vapeur à Corroy-le-Grand pour se précipiter à la ferme de  la marraine Esther…et puis il y a l’Harley et maintenant cette île des Caraïbes avec un chien « Robinson Crusoé »… 


-      Voilà, nous y sommes !  C’est peut-être ici que le titre « J’avais tout faux » pourrait prendre sa source…que j’aurais dû me rendre compte de l’une de mes premières erreurs :  cette faiblesse de ne pas croire en mes propres capacités sur mon propre bateau dont un autre, véritable mythomane, profitera.    Déjà par le nom « Spirit of Sindbad », nom que Jean-Louis Buclain, baroudeur des mers, me proposa et que je n’avais pas réfléchi aux conséquences.  Nous y reviendrons …Juste ce petit passage sur cet ilot à quelques miles de Nassau dans les Caraïbes et ensuite je reviendrai sur ma piste : à la recherche des causes de la maladie.  




  En effet, à bord du Spirit of Sindbad au mouillage la veille, à l’abri du vent pour passer la nuit, en scrutant la mangrove aux jumelles, mon regard fut attiré par une petite croix plantée dans le sable.   Ma curiosité évidemment m’y conduira voir pourquoi.  Sur ce symbole était planté un petit écriteau, demandant de donner à boire et à manger au « lonely dog ».   Effectivement, on pouvait apercevoir tout autour des traces de pattes de chien.  Le lendemain matin, je demanderai à Jean-Loup, le marin, de me laisser sur l’île.   Pas question de lever l’ancre sans avoir essayé d’attraper cet animal.  Avait-il survécu à un naufrage ou simplement sauté par-dessus bord d’un bateau ?  En tous cas, quelqu’un de bien intentionné avait mis cette pancarte. Mais pourquoi n’avait-il pas ramené le chien ?  Je le comprendrai plus tard.  À moi de jouer pour la suite, sans pouvoir compter sur l’aide du skipper qui détestait les clebs domestiques devenus totalement dépendants des hommes, « - Alors qu’il y a tant d’enfants qui meurent de faim », disait-il.
 Pour passer le temps, peut-être toute la journée à guetter le quadrupède, la guitare serait une bonne compagne.  En quelques accords, à l’ombre de la mangrove, sur cette plage des Caraïbes, cette chanson est née.
(Hélas, impossible de récupérer le chien !  Revenu au bateau à la nage, laissant la guitare sur la plage, je viendrai plus tard la chercher avec le Zodiac.  Aux jumelles, du bateau, j’ai pu apercevoir le chien venu renifler et lever la patte sur l’instrument à cordes.  C’était un Dalmatien - mâle, vous l’aurez deviné ! -  qui ne voulait plus approcher les humains ou le bateau, et / ou, plus sûrement, cette association des deux.) 

Le  Curé du village





J’ai beau avoir passé l’âge    Je me souviendrai toujours
Du bon curé de village     qui nous sortait du bourg
C’était après les vêpres le dimanche bien sage

Sérieux tout en prière, on aurait dit des anges
Pourtant un peu gaillards   quand il était en retard
On se partageait l’hostie   derrière la sacristie
C’était le corps du Bon Dieu   qui avait-il de mieux ?

Le bon curé de campagne   nous emmenait au loin
Jusqu’au pied de la montagne   le plus petit par la main
Il parlait du Bon Dieu de Jésus, de Marie
Perplexes mais bien curieux   de celle qui fut bénie
Car nous un peu canailles    on se cachait dans la paille
On taquinait les filles    avec des brins d’orties
Nous étions des enfants    encore bien innocents

En bicyclette parfois    derrière le pèlerin
Pédalant à tout va    à travers les chemins
Quand on voyait une croix    exprimant notre foi
On se mettait genoux à terre   on récitait le Pater
Mais nous les polissons    qui parlions au Bon Dieu
On dégonflait les pneus    de l’homme de religion
Et puis en confession    c’était la punition

Bien des années plus tard    je suis retourné voir
Toujours les mêmes vieux    mais un peu moins de Bon Dieu
Les enfants sont partis    sans le moindre sursis
Vers les banques, les usines…    Ils sont partis à la ville
L’école abandonnée   l’église dépenaillée
C’était la décision    des agglomérations
Toutes les portes fermées    je dérangeais l’émission

Et puis encore plus tard    je passai par hasard
Dans le petit village    et quel heureux présage
Comme le cycle des saisons    les petites habitations
Hébergèrent de nouveau    de tout- petits poupons
Des enfants dans les cours    on ressentait l’amour
Je crois que le Bon Dieu    est revenu un peu
Il ne manque que le curé    pour les emmener au blé

Il y a encore au monde    beaucoup de petits villages
Où des petits vieux attendent    fidèles à cette image
Du bon curé de campagne    nous emmenant au loin
Jusqu’au pied de la montagne    le plus petit par la main.
Le plus petit par la main.


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