dimanche 28 avril 2019

Qu'est-ce plus important qu'une femme qui t'aime?


Oui! jusqu'au bout l'ami, il tentera de me mener  en bateau ; même quand le bateau n'en  était plus vraiment un, première victime peut-être de nos différends.  Évidemment, mais c'est un peu tard pour y penser, j'aurais été à bord,  moi qui adorais tenir la barre la nuit sous les étoiles, - (les vrais moments où je me sentais maître à bord pendant que l'autre dormait) -   sans jamais oublier les feux de route pour être perçu en mer et éviter ce genre de collision - et d'abord que faisait le Spirit of Sindbad en face du Surinam,  au lieu de revenir en Europe;  retournait-il vers le Brésil? - Et moi,  pourquoi,  au lieu de lui remettre à Saint-Martin l'argent nécessaire pour le voyage du retour vers la France ou la Belgique,  ne suis-je pas resté à bord?  Non pressé de rejoindre celle qui m'attendait, je m'envolerai vers l'Europe,  me rappelant ces paroles magiques : 


" - Qu'est-ce plus important qu'une femme qui t'aime? - 

j'abandonnerai le Spirit of Sindbad et Jean-Louis ( qui trouvera un équipier aussi alcoolique que lui) .  Ai-je raison de croire qu'ils devaient certainement s'être endormis en cuvant leur rhum, enfumés de  cannabis,  que la nuit tomba,  en oubliant d'allumer les feux de route du Spirit of Sindbad qui n'est plus? 


 Oui, à la tournure des événements entraînant la perte de mon bateau, je peux affirmer à ce jour où s’inscrivent ces lignes :
J’avais tout faux, comme d'habitude!  




Hommage à Prévert.

À Martine
Miséricorde
(subsidiairement :  chanson d’autrefois)



Lorsque je l’ai vue sur le pas de sa porte
Le soleil se berçait dans ses cheveux d’or
Comme la vierge apparue surprend l’âme qui dort
Lui montre la voie que cachent les feuilles mortes
C’était la première fois

Quand j’ai voulu timidement la revoir
Lui demandant sans y croire son téléphone
Elle me regarda étonnée avec des yeux de madone
-         Pourquoi on va se quitter déjà ce soir ?
C’était la deuxième fois

Encore aveuglé par les envies de voyages
Le bateau m’attendait ainsi que ma guitare
Nomade avant tout je pensais aux départs
J’évitais de trop l’aimer elle qui était plus sage
C’était mon manque de foi

Plus important qu’une femme qui t’aime
Me dit-elle en sanglot je n’étais qu’un salaud
J’ai trahi comme un sot et lui fit de la peine
Son cri d’agonie m’éveilla en sursaut
J’avais perdu la foi

En ce temps-là elle rappela cet homme
Meurtri de son crime qui la pleure par ces rimes
Mais inconsciemment l’inquiétude prit forme
Notre nid d’amour plus qu’un lit d’infirme
Elle n’eut plus foi en moi

Un autre que moi a pris cette place de roi
Mais saura-t-il comme moi que t’es vraiment une reine
Je ne voudrais pas que cette fois t’aies de la peine
Ou sinon mon amour je reviendrai près de toi
Encore une fois

Humblement j’implore ta miséricorde
Sans ton pardon mon cœur bat en désordre
Je suis un amant perdu qui marche de travers
Sur des feuilles mortes comme disait Prévert
Elles se ramassent à la pelle dans cette chanson d’autrefois


Arrangements : Jean-Marie Dorval
Ingénieur du  son  :  Philippe Capon


samedi 27 avril 2019



Adieu vieille canaille et adieu mon beau voilier! 


Que d’eau a coulé sous la coque depuis… jusque en 2006 où je revins à Saint-Martin pour négocier la vente des 14 tonnes d’aluminium que représentent ce qui reste du Spirit of Sindbad. 

En 2005, au large du Surinam, le cotre se fit éventrer par un navire fantôme, en pleine nuit, qui disparaîtra sans porter secours.  Mon bateau n’est plus qu’une épave gisante dans un chantier naval à Marigot.  Lors de la collision, -  heureusement coque insubmersible - malgré le gréement arraché et le flan bâbord complètement enfoncé sur près d'un tiers de la longueur, Jean-Lou, ce diable d’homme, hissera un mât de fortune et réussira à le ramener à Saint-Martin.   Oui, le gréement fut emporté, accroché à l’ancre de la proue du fuyard.  Je n’étais pas à bord et attendais impatiemment le retour du Spirit en Europe.  Une fois de plus, il avait disparu et ce ne sera que pratiquement plus d’une année plus tard que j’apprendrai cette collision en mer par un certain Lucas, compatriote suisse de J-L.   Son nouveau partenaire profitera peut-être des trois années pour naviguer jusqu’en Patagonie et découvrir les côtes brésiliennes, mais il s’y ruinera. Jean-Louis avait trouvé son nouveau sponsor et pouvait se passer de moi. 

En final, quelques mois plus tard,  effondré aussi par ce bateau détruit qui ne pourra plus répondre à l’appel du Large,   ce Ecce marin se laissera mourir à Saint-Martin,  emporté par une hépatite du type C attrapée au Brésil.  

Toi qui repose depuis 2005 dans le petit cimetière de Marigot à Saint-Martin …que sur ta tombe abandonnée, sans le moindre signe, je la couvrirai de l’annexe du Spirit of Sindbad   avec cette épitaphe sur la coque retournée comme pour la protéger des prémices du temps:

Jean-Louis Buclain
1951 - 2005
Capitaine du Spirit of Sindbad

Cette chanson « Schyzomarine », Jean-Lou je te la dédie…en souvenir de nos nombreuses disputes.

Un mois avant sa mort,  - et j'ignorais qu'il appelait de l'hôpital de Marigot (St Martin) presque aux soins palliatifs - il m'avait téléphoné pour que je lui envoie les fonds pour le carénage.   Soi-disant le bateau était prêt; juste devait-il traiter la coque pour  une couche d'antifooling pour la traversée vers l'Europe.  



mardi 23 avril 2019

Silhouette

 23 avril ...On fête les Georges.  Deuxième anniversaire aussi du départ soudain de Charlotte.      Dix années d'intimité pourtant sans histoire, toujours honnête et fidèle l'un à l'autre,  mais la venue d'un petit-fils  - et c'est très utile la mamy pour assurer la garde pendant que les  parents  travaillent,-   et voilà que dans son  cœur vous n'existez plus.  Plus sereinement à ce jour, j'accepte ce karma,  mais à l'époque ce fut un véritable déchirement;   au fond,  je méritais aussi de souffrir, comme pour toutes les autres trahies  qui l'avaient précédée.   Frustré moi?  Non!  Je reste un grand admirateur de toutes les femmes  et tout particulièrement pour cette adolescente Greta Thunberg  pour son engagement si jeune à la cause de ce monde qui perd la boule...Et pas qu'au niveau climatique!  En plus des  cyclones de plus en plus fréquents,   la folie suicidaire de l'humanité qui touche les deux hémisphères, de la Nouvelle-Zélande au Sri Lanka avec ses 359 victimes,  en serait-elle l'une des stigmates?    C'est tellement plus important que ma petite histoire...Mais enfin,  notre ego en chacun de nous  reprend vite sa place ...et on la continue (ma petite histoire) :

Au fond, c’est idiot… pour mon blog du 14 avril dernier.  Pourquoi ne pas présenter le texte " Schyzomarine" en entier?  En rappelant que les arrangements musicaux, ne me plaisant pas du tout, il n'est pas question de vous en faire souffrir par l’audio.
Rien qu’un poème avec, ce qu’il y a de mieux: 
votre voix intérieure. 
 Merci.  

Schyzomarine

Aux marins solitaires qui ne veulent que les étoiles
Pour sillonner les mers est-ce bien normal
Il y en a des milliards et chacune un grand phare
Envoyant le message : ensemble les grands voyages

Aux beaux navigateurs dont rêvent les jeunes filles
Si le bateau c’est mieux que des yeux dans les yeux
Ne brisez par leur cœur et laissez les tranquilles
Ou emmenez- les vraiment donnez- leur un enfant

Que vous l’appelez Sindbad   ou vous la nommez Êve
Ne leur mettez pas le poids de partager vos rêves
Car même fils de marin ils auront leurs raisons
De tracer leur destin vers d’autres horizons

Et pour les terre-à-terre qui ne comprennent pas la mer
Et qu’un de leurs enfants la regarde trop souvent
C’est parfois qu’un petit rêve mais peut-être sa vie
Il sent sa vocation à chacun sa mission

Et vous les petits gars au bout du monde là-bas
Il faudra bien une fois avant qu’il ne soit trop tard
De faire un p’tit détour parmi ces longs parcours
Et rejoindre vos vieux et revenir un peu

Quand enfin de retour que vous serez près d’eux
Vous y trouverez l’amour des larmes plein les yeux
Et enfin retrouvée toute votre identité
Vous partirez au loin nous montrant le chemin

Et quand vient le moment de se quitter vraiment
Chacun se découvrant un peu trop différent
Prenant l’air rigolo pour cacher les sanglots
Sur le quai sac au dos on repart à zéro

  

Pour rappel, il s’agit d’une dispute entre Jean-Louis Buclain et moi à Miami au sujet d’un frigo que j’avais ramené au bateau ; que suite à sa réaction : « clouer la porte de ma cabine pour m’éviter d’aller acheter n’importe quoi », je l’avais licencié sur le champ. 
  Mais pourquoi, mais pourquoi…Je  m’en étais débarrassé pas trop mal… et voilà que ce manipulateur reprenait le contrôle - Oui, manipulateur, ce que je me suis enfin rendu compte avec des années de recul !
Après avoir sommé  Jean-Lou de quitter le bateau, le voyant tourner depuis trois jours dans la marina, pris de compassion, disons plutôt de faiblesse, – et il savait s’y prendre -, je l’ai invité à revenir à bord.  Je peux dire à ce jour avec certitude avoir été la victime d’un véritable hypnotiseur. 
Avant de connaître Jean-Louis Buclain, depuis plus de vingt ans, je barrais, pilotais des canots automobiles, petits voiliers, voire un speedboat dépassant les soixante nœuds et le Coloba, un motor-yacht de 17 M de long, sans jamais la moindre bévue ; bien sûr uniquement dans le bassin méditerranéen! Hors, depuis ce Spirit of Sindbad avec J.L comme skipper, - et aujourd’hui, j’en ris -, votre auteur n’était même plus capable de manœuvrer l' annexe propulsée par son moteur hors-bord de 5 CV. Si ce n’était que ça, mais la moindre personne avec laquelle j’aurais pu entretenir une liaison affective, comme  la pauvre Rosy qui n’a pu monter à bord à la marina de Point-à-Pitre voici un autre exemple de son emprise - je précise que ni lui ni moi ne sommes des homosexuels (enfin je crois !)  -   .

 Depuis une dizaine de jours à Miami, j’avais fait la connaissance d’une certaine Nelly, une sylphide merveilleuse, américaine, sportive, la fille unique d’un riche commerçant New Yorkais  …mais ça je ne l’apprendrai que plus tard et ce n’est certes pas ce qui m’avait attiré vers elle.  Non, c’est sa grâce, une silhouette qui me rappelait Audrey Hepburn…Aussi avant de continuer ce récit, je me permets d’intercaler cette chanson. 


Silhouette, silhouette l’amour survient dès l’instant
Qu’une silhouette te met en fête quand tu t’aperçois qu’un aimant
Te rapproche d’elle, la rend éternelle,
Pourtant juste avant
Tu planais dans le vent

C’est quelque chose
Qu’il faut laisser agir en soi
Comme une pause

Silhouette, silhouette un moment de flou relâchement
L’âme tranquille qui cache l’éveil dirige tes pas vers ta belle ;
Te rapproche d’elle, la rend éternelle,
Pourtant juste avant
Tu planais dans le vent

C’est ce moment-là, sans que tu le veuilles
Il brûle en toi comme un soleil

Silhouette, silhouette réponds à ton cœur tout en fête
N’attends pas, fais le premier pas ; elle te sourira. C’est comme ça
Te rapproche d’elle, la rend éternelle,
Pourtant juste avant
Tu planais dans le vent

Ne pas penser ; va spontanément
N’freine pas l’élan au droit d’aimer


Silhouette, silhouette, même si elle s’en va n’t’en fais pas
D’autres silhouettes, silhouettes passeront bien souvent près de toi
Qui seront plus belles, de plus en plus belles
Jusqu’à ce que la tienne te vienne par le vent
Qui seront plus belles, de plus en plus belles
Belle silhouette



Ainsi une image se fixe en vous et, pour le restant de vos jours, elle s'y ancrera définitivement.
Elle m'avait dit  "- mais donne lui ce bateau, on en achètera un plus grand!"-  Ce qui était bien aussi, elle avait étudié le chant, avait le même âge que moi (46 ans)...Et j'ai eu peur d'être aspiré par l'Amérique,  loin de ma famille en Europe,  mais surtout que Jean-Lou avait lancé l'idée qu'elle se droguait,  ce qui était complètement faux. Et nous lèverons l'ancre pour descendre les Everglades .  Je la vois encore me chercher dans tout Miami et moi je me cachais.  Une femme aussi merveilleuse.  C'est le plus grand regret de ma vie;  plus encore que Rosy et Juive également, une philosophie qui me convenait parfaitement. 

 




dimanche 21 avril 2019


Mais Paris me fit aussi le plus beau cadeau.


Il y a aussi ce François Cochon – oui, vous avez bien lu, c’est le patronyme d’un jeune homme, l’air d’un étudiant bien vêtu, pas l’apparence d’un clochard faisant la manche.   Il m’avait demandé cinq francs à la sortie du RER à Saint-Germain-en-Laye, la bouche de métro qui jouxte pratiquement l’enceinte du château où vivait Louis XIV avant de trôner à Versailles.   Machinalement, je lui avais glissé une pièce de dix qui traînait dans ma poche.    En regardant la pièce de monnaie et me remerciant, à ma grande surprise, il me propose un verre à la brasserie juste en face.
- Mais, ça va te coûter plus cher que cette petite obole! rétorquais-je en continuant ma route sans trop m’attarder vers l’endroit où j’avais garé ma voiture (j’évite de la prendre pour circuler dans Paris) …et puis finalement je m’arrête … Ce gars avait peut-être besoin de parler, …et rien ne m’empêcherait de régler moi-même les consommations. 
 - D’accord, j’accepte ton invitation.
Nous boirons tous les deux un café … et puis, je lui propose :
- En moins de cinq minutes, en voiture on peut être chez moi, à Le Peck.  Si tu veux, je peux préparer une omelette.
 Il acquiesce mais me demande de faire un petit détour à son appartement.  C’est déjà une bonne chose : ce n’est donc pas un SDF – il n’en avait pas l’air de toute façon.   Par contre chez lui, dans la cuisine, une vaisselle sale de plusieurs jours.   Un désordre qui trahit peut-être le désarroi d’un jeune homme en pleine déprime sans boulot, malgré son CAP de menuisier-charpentier.    On ne s’attarde pas, et nous voilà chez moi.   Pendant que je prépare une omelette aux tomates, au coin de la table, il se met à écrire timidement sur un petit bout de papier, qu’il me tend ensuite en baissant les yeux.  J’y lis : François Cochon. Cette attitude me rend évidemment perplexe et j’essaye de comprendre, mais je ne fais aucun commentaire et le laisse terminer son omelette. 
- Puis-je téléphoner ? me demande-t-il.
- Le téléphone est dans le salon.
J’entends qu’il appelle un hôpital et demande la chambre d’une certaine Martine X qui est en maternité.  La conversation de quelques minutes avec sa correspondante est plutôt calme et courtoise.  J’en conclus donc d’être témoin de l’angoisse d’un futur papa et comprenais mieux le désordre dans son appartement.   Aussi j’enchaîne :
-  Alors, c’est ta femme qui va accoucher ?
- Ce n’est plus ma femme.
- Plus ? Comment ?  Elle va accoucher pourtant.
-  Ce n’est pas moi le père.  Nous sommes séparés depuis plus de neuf mois.
-  Oui, c’est triste mais ça arrive assez souvent…mais alors son nouveau compagnon…il doit être près d’elle en ce moment ?
- C’était un jeune de seize ans qui s’est enfui.
- Alors j’imagine que ses parents sont près d’elle ?
- Elle n’a personne.  Elle est orpheline.
- Faudrait peut-être bien que tu ailles la voir si elle est seule pour la réconforter.
-  Pas question, ce n’est pas mon problème !
- Ah bon !  Du coup je m’énerve.  -  Casse- toi…  Tu ne m’intéresses pas !  Et j’ajoute précipitamment en ouvrant la porte de rue :
- Sois content !  Ce ne sera pas un petit Cochon qui va naître, mais un petit Jésus.  D’ailleurs, rien ne t’empêche d’aller changer ton nom.  Ce n’est pas de ta faute si l’un de tes ancêtres a fait en sorte qu’on l’appelle ainsi.  Je peux imaginer ta souffrance depuis ton enfance.  Les moqueries de tes compagnons de classe…ensuite à l’armée…et puis au boulot.  Je crois que tu en as bavé.  Va changer ton nom, appelle-toi « Chevalier » ou « Saint Joseph » puisque t’es charpentier.  Casse-toi !
Moins de cinq minutes après son départ.  On sonne à la porte d’entrée.  C’est mon lascar qui revenait penaud.
-  Si tu m’accompagnes, je veux bien aller la voir.
-  Sans problème, on y va tout de suite.
 Je m’arrêterai chez une fleuriste et lui tend le bouquet.
- Tu lui donneras sans dire que c’est de moi.
Martine, la future maman est seule dans la chambre, allongée sur le lit, souriante en nous voyant arriver.  Elle ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt ans. L’accouchement devrait normalement se faire le lendemain.  Je ne suis resté que quelques minutes, prétextant un rendez-vous presque oublié, pour qu’ils se retrouvent entre eux.
Trois mois plus tard, lorsque cet agent de la Mairie m’apporta l’autorisation pour la musique, alors que je remettais les clés à la dame de l’agence immobilière, chargée de la vente du pas-de-porte du 8, rue Brantôme, arrive un jeune homme souriant, ayant dans ses bras un magnifique bébé.  C’est bien lui, tout rayonnant : François Cochon !   Il avait suivi mon conseil.   L’Administration avait accepté le changement de nom; il s’était remis en ménage avec Martine, reconnu l’enfant, et avait trouvé du travail.   Zut, j’ai oublié de lui demander son nouveau nom ! 
Paris venait de m’offrir le plus beau cadeau d’adieu. 
 Je pouvais m’envoler vers les Bahamas, rejoindre Jean-Lou, Céline et le Spirit of Sindbad

samedi 20 avril 2019

Bien que Paris...m'avait un peu boudé...


Bref !  Je disais donc en mars 1989, je débarquais à l’aéroport de Nassau ;

Que je m’étais envolé loin de Bruxelles et de Paris, la tête pleine de nouveaux rêves, vers le Sud-Ouest, les Bahamas, pressé de rejoindre mon beau bateau, ohé ohé!  Oui, j’allais jouir enfin de l’instant magique de ces lieux paradisiaques; rasséréné après les derniers tracas dus à ma métamorphose du bourgeois, l’homme d’affaires sédentaire en artiste nomade ; pouvoir contempler, pourtant relativement éloignée au milieu du chenal, cette coque nacrée surmontée de son unique mât de vingt mètres oscillant calmement comme un balancier.  Soudain, une tête apparut brusquement au-dessus du cockpit.  Je reconnais la tignasse ébouriffée de Jean-Lou.  Moi qui suis tapi dans l’ombre des plantes tropicales qui abondent à cet endroit du rivage, il ne peut normalement me voir.  Cependant, bien avant que je manifeste ma présence, le voilà sautant dans l’annexe et, sans une hésitation, se dirige droit sur moi à vive allure.  Mystère que cet homme qui me surprendra toujours.   
  Quelques heures après, nous enfilerons palmes et tuba pour aller explorer par trente mètres de fond, un caboteur complètement réduit à l’état d’un bloc de ferraille.   Sa chaîne au mouillage s’était rompue et la furie des vagues le projetteront sur les brise-lames. Toute la nuit, paraît-il, les chocs sourds de la coque en acier se démantelant contre les rochers rythmeront dans un fracas infernal sans espoir d’aucune aide des insulaires impuissants.  En arrivant la veille au soir à la barre du Spirit of Sindbad, par quarante-cinq nœuds de vent, Jean-Lou s’étonna de constater ce cargo qui restait au mouillage à l’extérieur du canal plutôt qu’à l’abri dans le chenal protégé par les digues.  Six hommes d’équipage.  Un seul a survécu.  Il n’était pas à bord, mais au bistrot.  Eh oui, « Le bistrot, c’est la vie ! »   Le chien Dalmatien mentionné dans le premier chapitre, c’est dans cette traversée où, dès mon arrivée, après cette plongée en apnée, nous avions levé l’ancre pour voguer calmement vers la Floride.     En oubliant le 8, rue Brantôme du 4ième Ar. de Paris, près du Centre Pompidou, suite à la faillite de mon resto « Le Pacific Fruit et Music ».   Ma formule aurait dû conquérir le cœur des Parisiens.   Mais trop de grains de sable, dans le rouage de cette nouvelle entreprise, épuisèrent mes moyens financiers.  De plus, je venais d’être condamné à régler près de quatre-vingt mille nouveaux francs au Conseil du Prud’hommes au profit de trois musiciens haïtiens résidant à Paris qui devaient normalement animer le Pacific Fruits & Music.   Mais au préalable, il me fallait obtenir les autorisations de la Préfecture pour produire des orchestres sur scène qui arriveront trois mois plus tard.        Je ne comprendrai toujours pas cette sentence de justice, pourtant plaidée par Maître Albert, mon défenseur. Il n’y avait aucun contrat signé, juste d’attendre le feu vert administratif de la ville de Paris pour commencer leur prestation.  Très souvent ils partagèrent ma table en toute amitié ; Ils le savaient qu’il fallait attendre les autorisations de la Préfecture et de toute façon, ils étaient libres d’aller où bon leur semble, sans se sentir forcés de rester à ma disposition.  Derrière mon dos, ces sympathiques compagnons m’assignèrent.  Ego te absolvo chers amis haïtiens, mais aussi ce Tribunal.    Un commerçant Belge, devait-il casquer pour des pauvres Haïtiens ? J’en fus époustouflé.  Frustration totale ! Au bout de trois mois d’exploitation dans ce décor qui rappelait une cabane antillaise, où hélas !, manquait le charme d’un groupe jouant du zouk qui devait donner l’impulsion nécessaire au lancement du resto-cabaret, j’ai dû licencier les huit collaborateurs – cuisiniers, serveurs, barmaid-caissière.   Mes réserves étant épuisées, je fermerai les portes du Pacific Fruit et Music sans plus d’espoir. Ironie du sort, le jour même, où je confiais les clés à la dame de l’agence immobilière pour revendre le fonds de commerce, un policier vint m’apporter les autorisations! 
 « -  Non merci, cher Monsieur l’agent, je n’en ai plus besoin, je viens de fermer l’établissement. »
 J’y croyais encore…de pouvoir récupérer une certaine somme sur mon investissement de plus de deux millions de francs français.  Hélas !, après une année d’attente, pas un seul candidat à la reprise…Et vu le loyer exorbitant, le Pacific Fruits&Music sera finalement acculé à être la quatre-vingtième faillite dans ce quartier de l’Horloge annexé au Centre Pompidou.  Mauvais quartier ?  Peut-être!  Le drame de ces ajouts aux centres commerciaux, les loyers sont aussi chers, mais les clients restent au cœur même plus animé.   In fine adieu Paris ! 
Et, maintenant, après toutes ces années, que je couche mes soubresauts de mémoires encore intactes sur la Toile, comme disait Montaigne, ne sommes-nous pas les seuls responsables de nos actes ? Ne fallait-il pas mieux m’informer et être sûr de mon investissement, avant de me lancer tête baissée dans l’installation d’un resto-cabaret, aussi louable qu’était la formule d’aliments cent pour cent bio, en plein Paris avec des loyers quasi inabordables? 
Néanmoins, j’ai gardé de bons souvenirs.  Le salon de Jacques Dessange, mon voisin, est situé juste au-dessus du Pacific Fruit et Music.    Philippe, le gérant, malgré mon insistance, refusait systématiquement mon argent pour mes coupes de cheveux.   Encore si ce n’était qu’une fois où je m’étais incliné face à son argumentation, mais les deux fois suivantes, il tenait le même discours :

-  À Paris, on n’a jamais vu un commerçant offrir des cornets de glace à une colonie d’enfants.

- Oh tu sais, il ne m’a fallu qu’un petit clin d’œil et un appel du doigt !  Comment voulais-tu que je résiste à leur envie qui se lisait dans leurs yeux en coin, osant à peine tourner la tête vers moi ?  Ils avaient l’air si sages, si soumis aux ordres des deux monitrices qui leur criaient d’avancer sans s’arrêter devant ma charrette de glacier aux allures foraines et bien tentante.   Ce fut une explosion de joie dès que j’ai tendu le premier cornet.  Un spectacle qui valait bien plus que le prix de revient d’une cinquantaine de boules de crème vanille et chocolat. Magique !  

-  Oui, du salon, nous avions remarqué.

Philippe fait partie de ces personnalités qui me feront regretter Paris. Des années plus tard, alors que j’étais de passage à Paris et curieux de voir ce qu’était devenu le rez-de-chaussée où a vécu l’éphémère « Pacific Fruit et Music », j’eus le bonheur d’y voir à la place une supérette vendant des fruits et légumes. Question fruit, mon enseigne avait donc laissé quelques gènes. Le salon Jacques Dessange s’était déplacé à la rue de Rivoli, ce qui ne m’empêcha pas d’aller saluer mon ami Philippe.  Il me prend à part :

- Je ne comprends pas pourquoi tu as arrêté si vite le « Pacific Fruit et
Music » ?   Je te vois encore sur la scène avec ta guitare et ce défilé de mode de cette jeune créatrice de Liège de haute couture devant presque six cents Parisiens.   C’était le succès !   Cette date d’ouverture : le huit du huit quatre-vingt-huit (8-8-88), n’était-ce pas de bon augure ?

-  Oui, le minitel avait bien travaillé grâce aux nouvelles collaboratrices parisiennes.  Si tu voyais la facture !   Et tu dois bien le savoir, quand c’est gratuit, le monde afflue.

-          Non, ce n’est pas systématique, il y avait vraiment de la magie.  L’enseigne, le décor, ces jolis mannequins, ce groupe djembé qui t’accompagnait et ce décor de cabane antillaise avec toutes ces plantes exotiques.  Tout le monde semblait ébahi.

-  Mais ce que tu ne sais pas, c’est que le soir même la police est venue m’avertir qu’il fallait une autorisation pour la musique. Ils ont quand-même été sympas pour l’ouverture, mais je devais me mettre en règle, ce que je fis directement, croyant que cela prendrait quelques jours.  Ils me l’ont finalement apporté trois mois après.  Sans la musique, le concept n’avait rien de vraiment original : un resto comme tant d’autres ; bien que, à deux reprises, l’hebdomadaire du Figaro Magazine, dans leur rubrique gastro, nous congratula de la seconde place des meilleures tables dans le troisième et quatrième arrondissement.

-  Et tu avais du beau monde.  J’ai quand-même remarqué que Catherine Lara venait assez régulièrement avec d’autres gens du spectacle.

 - Affirmatif, elle appréciait la cuisine sur pierre, mais c’est aussi grâce à, Didier Pelletier, mon bras-droit, qu’elle connaissait personnellement.  Il avait participé à l’aménagement de son appartement à proximité.  De cette ouverture, j’en garde néanmoins un beau souvenir : ce fut pour moi la consécration d’une chanson « Ô Ville ! », présentée devant un public parisien.   Une de mes toutes premières compositions, où il m’avait toujours manqué une rime à « ville ».  Celle-ci me sauta aux yeux, vingt-deux ans plus tard, avec « Tchernobyl » quand explosa leur centrale nucléaire le 26 avril 1986.


Ô Ville !




Arrangements: Jean-Marie Dorval

Dans une ville de fracas où les chantiers battent
Le rythme des vies qui viennent et qui partent
Sous un ciel enfumé que percent des sirènes
D’ambulances folles, d’ambulances trop pleines
Pour faire face aux buildings, les petits toits des logis
Veulent tenir bon mais craquent sans oraison

Refrain :

La ville se transforme et nous transforme
La ville change son cœur de pierre
La ville voudrait devenir énorme
La ville s’écoule vers une autre ère

Dans cette ville de fracas qui trop tôt nous réveille
On n’a plus besoin de réveille-matin
Des grues gigantesques nous tirent du sommeil
Et nous lâchent pêle-mêle aux ingrats lendemains
Les bosses et les fosses que l’on côtoie
Ressemblent à des tombes il ne manque que les croix

Dans cette ville de fracas de travail éternel
L’orgueil va bon train dans ces tours de Babel
On y chasse la nature à grands coups de pioches
On y chasse la vertu à grands coups dans les gosses
On y prend son parti se croyant libéré
Mais la pleine liberté c’est surtout d’être entier

Les besoins de la ville non contente des hommes
Pour jouer au Soleil s’en est prise à l’atome
Cette ville de lumière,  nucléaire débile
N’a-t-elle rien compris après Tchernobyl ?
C’est aussi dans cette ville au service de Caïn
Que l’on dit à Dieu : « Non !  Retourne d’où Tu viens ! »

Epilogue :

Ô ville, cité d’autrefois, quelle que soit ta culture
Les rires d’enfants résonnaient dans l’air pur
Ô ville, toi qui servais la vie et protégeais nos filles
Déterminais si bien la tâche et le maintien
Délimitais tes droits à de simples murailles
Ton cœur avec le nôtre battait dans tes entrailles



".../...On y prend son parti se croyant libéré
Mais la pleine liberté,  c'est surtout d'être entier.../... "

 En musique,  bien sûr !   



Il y a un demi-siècle que j’avais créé cette chanson  « Ô Ville ! » -  je pensais déjà à la pollution,  mais il me manquait une rime qui me vint d’un coup lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986.  et voilà :



Ô ville!





Cliquez sur ce lien pour écouter cette chanson

Arrangements: Jean-Marie Dorval