Woman,
( pardon Maman)
Film d’Anastasia
Mikova et Arthus-Bertrand sorti ce 4 mars 2020 que, dès que possible, je visionnerai
(de préférence sur la Toile) me plonge dans mes propres souvenirs au sujet des
femmes en général et d’office à ma propre mère.
Cela me fait remonter au seize octobre 1956. René (15 ans) et moi (14) venions d’entrer
dans l’une des chambres de la maternité d’Ixelles, avenue des Saisons. Dès que
je l’aperçus en pleurs, vieillie de dix ans, je m’effondrai, la tête enfouie sur
sa poitrine pour dissimuler mes propres sanglots. La naissance de Martine s’était mal passée,
contrairement aux cinq précédents accouchements dont des jumeaux (Jean-Marie et
Jean-Luc). Son dernier
enfant ne vivait plus depuis quatre jours, étranglé autour du cordon ombilical.
Sans doute trop d’aisance dans ce ventre
maternel qui en avait porté six auparavant ! Mon
père était comme fou ne sachant comment la consoler, empêchant même qu’elle
puisse voir au moins une fois ce magnifique bébé de plus de huit livres aux
grands yeux bleus et déjà des beaux cheveux noirs, comme me l’avait décrit
papa, car nous non-plus, René et moi, n’avions pu la contempler. La petite sœur sera inhumée au cimetière d’Ixelles,
près de notre grand-père maternel, Georges Fronville, enterré en 1933. Notre mère n’avait alors que douze ans. Ce père diabétique devenu aveugle, boucher et
trompettiste, quelques jours avant sa mort, ne pourra donc voir les larmes de Georgette,
sa fille virtuose face au piano qu’il venait de lui offrir. Pourtant jusqu’à cette année 1956, notre
famille nombreuse vivait dans la joie. On
avait la chance d’avoir un papa clown débordant d’ingéniosité pour nous faire rire
(et surtout la maman qui s’évertuait souvent pour se convaincre elle-même et nous
dire « que plaie d’argent n’est pas mortel »). En effet le grand bémol à cette euphorie tribale
aux six enfants et bientôt le septième, c’était que le chef de tribu dépensait
toujours plus d’argent qu’il n’en gagnait… Et à cette époque, la maman ne
travaillait pas. Ce couple s’était uni
dix-sept ans, auparavant, en 1939. Lui jeune
étudiant de 19 ans à la Faculté de Solboche en Polytechnique, ayant un vrai
violon (pas d’Ingres) à son palmarès et elle, secrétaire sténodactylo, et
excellente pianiste comme déjà énoncé plus haut, à l’occasion d’un concert au
profit de la Pologne, envahie par les nazies, ils se sont retrouvés sur la
scène à l’Alhambra. Elle lui sourit ;
et nous voilà
Mais tout a
basculé après ce triste seize octobre 1956.
Cette maman inconsolable ne pouvait plus rester à la maison. Elle voulut travailler pour ne plus trop
penser (aussi face aux dépenses de plus en plus excessives du patriarche
inconscient face aux problèmes de trésorerie du ménage ; d’accord, à
son corps défendant, c’était pour la distraire). C’est
ainsi qu’ils décideront d’ouvrir un restaurant.
« - Au moins les enfants n’auront jamais faim », s’exclama
un jour ce père, dessinateur talentueux, directeur commercial d’une usine de
meuble à Vilvorde. Le Mouton d’Or, 21
Petite rue des Bouchers ouvrira ses portes le 21 juillet 1958 avec son slogan « Manger
portugais dans le plus parisiens des restaurants bruxellois » …Ah oui
! je ne l’avais pas encore précisé, Lucio, notre père était Portugais, né à
Santarém le 12 mai 1920, débarquera en Belgique à l’âge de neuf ans. Son père, Alfredo-César doção Salles de
Santarém, ruiné suite à un effroyable incendie qui ravagea ses terres, se fit
engager en tant que contre-maître par la société Macadam. Il participa aux routes du littoral et
principalement ce tronçon de la première autoroute partant de Nieuport vers La
Panne. Ce fiston Portugais, ne parlant
pas un mot de français, pour sa première classe en Belgique (troisième primaire
à 9 ans) sera premier continuellement jusqu’à la fin de ses études à la Faculté
Polytechnique de Solboche qui seront interrompues suite à la rencontre de ma
mère, de la guerre et la naissance de René.
En tant que dessinateur industriel talentueux il eut rapidement un
emploi pour nourrir sa petite famille dès fin 1940.
Bon ! Il ne s’agit pas ici, bien sûr, de faire l’éloge
du père, un homme très possessif et dominant, mais de cette période où j’avais
effectivement constater en 1959 -60, que les femmes, dont ma mère, qui décida
de divorcer après une année de l’exploitation du Mouton d’Or au cœur de
Bruxelles, n’avaient pas le droit d’ouvrir un compte en banque sans l’accord du
mari. Il faut savoir que malgré le succès du resto,
notre paternel était devenu violent et jaloux de cette très belle femme, son
épouse ; il dépensait toujours plus. La
clientèle, et particulièrement masculine, un peu trop au goût du patron, admirait
cette élégante dame pas du tout conforme aux standards de cette profession. C’est vrai qu’à Bruxelles, on n’avait pas
trop l’habitude de ce genre de restaurateurs plutôt érudits et raffinés. Il faut aussi savoir que depuis la perte de
Martine les relations amoureuses se faisaient de plus en plus rare. Mon père ne semblait pas trop comprendre
qu’il lui faille du temps avant que les choses se remettent dans la
normale. Ma mère finalement prit la
fuite en allant ouvrir un autre restaurant « le Flambée » au 24, rue
Francart (près de la Porte de Namur – Ixelles).
Cependant, pas encore divorcée, il lui fallait pour le registre de
commerce, également l’accord du mari. Enfin
une certaine Françoise vint à son secours.
Mais à l’époque, à mes dix-huit ans, je ne comprenais pas cette
incursion féminine dans la vie de ma mère et je lui en voulus énormément.
Pardon Maman
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