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Comment t’es
venu cette chanson :
« Hommage aux Soldats du feu » ?
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Oui, et vu ces brasiers qui se répandent à tous les azimuts du Nord au Sud
et de l’Est en Ouest, il me semblait opportun de la rappeler sur mon blog.
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L’admiration, comme pour la plupart d’entre-nous, pour le corps de cette
armée civile remonte plus particulièrement en ce qui me concerne à la nuit du vendredi 13 février 1981 au samedi 14. La
Chèvre folle, au 26* et 28 Petite rue des Bouchers, notre dernière création...le
plus beau, le plus luxueux, le plus cher quant à sa réalisation dans un décor
kitch digne des grandes brasseries parisiennes...cuisine haute gamme grâce au
talent d’Emile Lenglez, membre de la Jurade des trente-trois meilleurs maîtres-queue
de Belgique, des garçons en nœud pap très stylés ... Les critiques gastronomiques
Gault et Millau et leurs collaborateurs avaient choisi notre maison pour fêter
la clôture de leur enquête sur les restaurants bruxellois. Nous n’étions ouverts que depuis quelques mois
et n’avions pas été répertoriés sur leurs fiches d’investigation. N’empêche, sans doute dans l’euphorie du
moment suite à ce repas festif avant de quitter Bruxelles, l’un d’eux proclama que la Chèvre folle, rapport qualité-
prix, était le meilleur restaurant de Belgique...et qu’ils viendraient l’année
prochaine pour nous classer dans leur prochaine chronique gastronomique sur
Bruxelles. Mais cette nuit du vendredi à samedi, vers
deux heures du matin la sonnerie du téléphone...
Je reconnais
la voix de Bento, un de nos cuisinier qui logeait dans l’appartement au-dessus de
la Petite Provence, juste en face de la Chèvre Folle : « Patron, venez
vite... des pompiers partout... »
...Dans la demi-heure, en larme, je ne pourrai que constater l’hideux
spectacle : deux trous noirs béants à la place des deux vitrines
chatoyantes qui attiraient encore quelques heures plus tôt, les visiteurs de la
Grand-Place avec succès. Un vendredi 13,
la veille de la Saint-Valentin !
Presque
mort en vin.
Je
dois ma vie aux deux pompiers qui m’accompagnaient pendant ma visite dans les
lieux pour constater l’ampleur des dégâts, lorsque soudain un craquement - que
certes, mes oreilles non expertes n’auraient pu percevoir tout de suite - les
deux athlètes casqués eurent le temps de me pousser violement vers la rue, quand
un fracas semblable à celui d’un train rapide à un passage à niveau, le plafond
venait de s’effondrer avec les milliers de bouteilles de pinard stockés au
premier. Les flammes, comme tu peux le deviner, avaient fragilisé ce plancher
de toute façon pas prévu pour une telle surcharge. Mea culpa ! Enfin, cela aurait été une belle finitude tout
de même : mourir dans le sang du Christ et que Bacchus et Dionysos
puissent accueillir à bras ouvert mon âme enivrée des sataniques effluves
surchauffés !
Petite parenthèse, n’oublie pas qu’il s’agit d’expliquer
d’abord pourquoi cette chanson. La Chèvre
folle ne rouvrira plus, comme la biquette de Monsieur Seguin que raconte
Alphonse Daudet, qui se fera dévorer dans la montagne par le méchant loup. Pour cette vétuste maison du 28 Petite rue
des Bouchers (qui le sont pratiquement toutes dans ce quartier moyenâgeux) pour
obtenir un bail ferme de dix-huit ans d’occupation, nous avions déboursé plus
que sa valeur immobilière tant pour le pas de porte que sa restauration. Maître Vandekerkove, notre avocat et sommité
dans le domaine des baux commerciaux en Belgique, n’avait pas prévu de supprimer
l’article 1721 (loi Napoléonienne) qui annule le bail quand l’immeuble
disparaît suite à un incendie par exemple.
- Pourquoi n’avais-tu pas acheté les briques ?
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Le propriétaire, un jeune loup qui venait de l’hériter de son père, patron du
Welkom. Ce bistrot typique est connu dans le monde
entier et fréquenté par des artistes peintres devenus célèbres comme Sommeville
et Delvaux. C’est le rendez-vous
incontournable de la rive gauche bruxelloise et des étudiants de l’Académie des
Beaux-Arts. Hélas, le père Oscar, cinquante-six ans,
rustre et ancien proxénète, dut avoir un moment de flou suite à l’abandon de sa
maîtresse, surtout que sa propre femme, Marcelle, la mère de leur fils Francis,
l’avait également quitté quelques années auparavant. Il finira par se pendre
dans la cave. J’avais, de son vivant, tenté de racheter son Welkom qui le fâcha
au point qu’il ne m’adressera plus jamais la parole. Non, il n’aimait pas ce jeune arriviste,
exploitant déjà plusieurs restaurants. C’était
l’époque de ma folie des grandeurs. Il s’était sûrement retourné dans sa tombe,
lorsque son fils, en discorde avec sa mère et son compagnon juste à peine plus
âgé que lui-même – discorde au sujet des transformations et probablement un
manque de trésorerie pour ce new Welkom (grave erreur que d’avoir voulu changer
ce magique lieu-dit) - Francis vint me trouver pour me louer,
moyennant un pas de porte assez faramineux, et qu’il me laissait le soin de
reprendre et terminer les travaux du bâtiment.
Non, il ne voulait pas vendre. J’exigerai
donc alors un bail pour une durée minimum de dix-huit années. Mais l’incendie fut une aubaine pour lui, car
non seulement il gardera le pas de porte empoché l’année d’avant, l’immeuble
serait reconstruit financé par les assurances pour lui permettre d’exploiter
son propre restaurant qu’il appellera « La Belg’époque ». (le
nom du Welkom, il me l’avait cédé). Pas très courageux l’héritier, il revendra son
affaire moins d’un an plus tard à un Tunisien
très travailleur qui vendra du
Couscous sous la même enseigne.
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*Pour l’immeuble du 26, l’origine de ma petite Bergerie, qui
fut vendue à mon insu en viager à Eddy Vandeweghe, ce marchand de tapis
installé près de la Porte-de-Namur, qui en fera une soi-disant galerie de
tableaux, nos affaires en pleine extension, ayant alors loué le numéro 28 mitoyen,
j’irai négocier un nouveau bail + un pas de porte assez sérieux pour que le 28
et 26 ne fasse qu’une même exploitation : « La Chèvre Folle ». Après l’incendie, moyennant une nouvelle
négociation avec Eddy VDW, nous garderons le 26. Ce qui fut une erreur à mon humble avis. Jamais l’âme de la petite Bergerie y
reviendra. Je ferme la parenthèse... Et revenons à nos Pompiers !
Le mercredi 1 mai 1985, mon fils de quinze ans et moi quarante-deux, nous sautons de bosses en bosses, couverts de boue, comme les cangacieros de l’Apocalypse, au Moto Land en Flandre orientale. Il roule sur une 125 Honda Cross 2 temps et me dépasse bien souvent, moi sur ma 250. Normal, les fils doivent dépasser leur père et j’en suis fier. En fin d’après-midi nous remettons les engins sur la remorque, nous nos décrassons un minimum pour ne pas saloper trop les sièges du 4X4 quasi neuf. Sans savoir pourquoi, je me sens soudainement nostalgique, et sens des larmes couler de mon visage. Qu’est-ce qui pouvait me rendre triste ? C’était une belle journée avec mon gamin de plus en plus performant. La joie pour un papa ! Et une bonne fatigue. Le moto cross est un sport très physique et suivi d’une bonne douche tiède à la maison, c’est l’extase...surtout quand la tendre épouse vous a concocter un délicieux repas. Cependant je me mets à repenser à cette fin d’après-midi au Moto land. Qu’est-ce qui avait pu me rendre mélancolique ? Autre petit moment de détente devant la télé et arrive la nouvelle aux Infos de la RTB : rue des Sols deux pompiers morts victime d’une fourgonnette piégée par les C.C.C. Le lendemain en gros titre dans le quotidien le plus lu à Bruxelles : Encore des travailleurs assassinés, signé Y. Toussaint. Je trouvais ce titre assez maladroit et opportuniste. Le soir, Hélène et moi dinions au resto Paul et Virginie rue Defacqz de mon frère cadet. On l’appelle Polo, mais c’est bien lui le Paul de l’enseigne (Virginie, c’est sa belle-fille). Songeur, le drame de Karel Van Marc et Marcel Bergen ne quitte pas mes pensées. C’était peut-être eux qui m’avaient sauvé in extremis quatre ans auparavant de la Chèvre Folle quand le plancher s’effondra suite à l’incendie. Soudain, sur la nappe en papier me vinrent ces vers:
Vous n’étiez pas de
simples travailleurs
Vous étiez des héros
Hommes d’honneur face à l’horreur
Luttiez sans mot
La vie des autres ou la
vôtre
Mais votre vie, c’est un
peu la nôtre
Au moment des funérailles
à la Basilique de Koekelberg avec Italo, le président de l’ASBL de l’Îlot
Sacré, nous déposerons une double couronne avec ce texte signé Îlot
Sacré. Je fus assez surpris de le
voir reproduit dans le Soir Illustré avec ce commentaire du rédacteur : le
porte-parole de la Belgique. Plus tard
encore, j’apprendrai par un pompier musicien lui rappelant cette anecdote, qu’à
la rue des Sols il y avait une stèle commémorative avec mon poème. Je m’empresserai pour aller la voir...Elle n’y
était plus.
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