Mais Paris me fit aussi le plus beau cadeau.
Il y a aussi ce François Cochon – oui, vous avez bien lu -,
c’est le patronyme d’un jeune homme, qui m’avait un peu intrigué à la sortie du
RER à Saint-Germain-en-Laye. Déjà par
son habit, un gilet chamarré à boutons à l’instar de ceux que portent les
barmen dans les hôtels de luxe. Il
m’avait demandé cinq francs. Distraitement, je lui avais
glissé une pièce de dix. Voilà que mon quémandeur me propose un
verre à la brasserie juste en face !
- Mais, ça va te coûter plus cher que cette petite obole ! rétorquais-je, sans trop m’attarder, en
continuant vers l’endroit où j’avais garé la Renault 9 (j’évite de la prendre
pour circuler dans Paris) …Et puis finalement, je m’arrête songeur : oui,
intrigué aussi, par cette ressemblance avec Schubert, par son accoutrement, ses
cheveux ébouriffés et ses petites montures de myope sur le nez... Il avait peut-être besoin de parler...Rien ne
m’empêcherait de régler moi-même les consommations.
- D’accord.
Vu que c’était l’heure
du déjeuner, après les deux cafés et les blablas courtois, (je n’allais tout de même pas commander le menu du resto), et lui
propose :
- En moins de cinq
minutes, en voiture on peut être chez moi, à Le Peck. Si le cœur
t’en dit, j’ai quelques œufs honnêtes qui n’attendent que nous.
Il est ravi, mais me
demande de faire un petit détour par son appartement. C’est déjà une
bonne chose : pas un SDF – il n’en avait pas l’air de toute façon -. Par
contre chez lui, un amoncellement de vaisselle sale de plusieurs jours encombre
et pas qu’à la cuisine. Il tourne en
rond, mais que cherchait-il ?
Bizarre ! Voulait-il montrer son désarroi...en pleine déprime,
sans boulot, malgré son CAP de charpentier (ce qu’il m’avait appris dans la
taverne) ? Enfin, on ne s’attarde pas trop, et nous voilà chez
moi. Pendant que j’exerce mes talents de cuisinier pour une
omelette aux tomates, mon hôte est assis au coin de la table et semble griffonner
quelque chose sur un bout de papier ; il me le tend ensuite en baissant
les yeux. J’y lis : François Cochon. Cela me
rend évidemment perplexe. J’évite de faire
le moindre commentaire. Et, ce frugal repas à peine terminé, poliment, il me
demande :
- Puis-je téléphoner ?
- Le téléphone est dans le salon...Sans être curieux, j’entends quand-même qu’il appelle un hôpital et
demande à parler à une certaine Martine X qui est en maternité. Conversation avec sa correspondante plutôt
calme et rassurante. Ah, je comprends mieux : l’angoisse d’un futur papa ! Aussi
j’enchaîne :
- Alors,
c’est ta compagne qui va accoucher ?
- Ce n’est
plus ma femme.
- Plus ?
Comment ? Elle va accoucher pourtant ; et tu l’appelles.
- Ce
n’est pas moi le père. Nous sommes séparés depuis plus de neuf mois.
- Oui,
c’est dommage ! Hélas, ça arrive !
Mais
alors, son nouveau compagnon ... Il doit être près d’elle en ce
moment ?
- C’était un
jeune de seize ans qui s’est enfui.
- Alors j’imagine que
ses parents sont près d’elle ?
- Elle n’a
personne. Elle est orpheline.
Quelques secondes de réflexion et j’enchaîne :
- Faudrait
peut-être bien que tu ailles la voir pour la réconforter, si elle est seule.
- Pas
question, ce n’est pas mon problème !
- Ah bon ! Du
coup j’explose. - Casse- toi… Tu ne
m’intéresses pas ! Et j’ajoute précipitamment en ouvrant la
porte de rue :
- Sois content ! Ce ne sera pas un petit
Cochon qui va naître, mais un petit Jésus. D’ailleurs, rien ne
t’empêche d’aller changer ton nom. Ce n’est pas de ta faute si l’un
de tes ancêtres a fait en sorte qu’on l’appelle ainsi. Je peux
imaginer ta souffrance depuis ton enfance. Les moqueries de tes
compagnons de classe…ensuite à l’armée…et puis au boulot. Je crois
que tu en as bavé. Va changer ton nom ! Appelle-toi « Chevalier » ou
« Saint Joseph », puisque t’es charpentier. Et casse toi !
Moins de cinq minutes après son départ. On sonne
à la porte. C’est mon lascar qui revint penaud.
- Si tu m’accompagnes, je veux bien aller la voir.
- Sans problème, on y va tout de suite.
Je m’arrêterai chez une fleuriste et lui tend le bouquet.
- Tu lui donneras, sans dire que c’est de moi.
Martine, la future maman est seule dans la chambre, allongée sur
le lit, souriante en nous voyant. Elle ne doit pas avoir beaucoup
plus de vingt ans. L’accouchement devrait normalement avoir lieu le
lendemain. Je ne resterai que quelques minutes, prétextant un
rendez-vous presque oublié. Ils avaient
certainement des choses à se dire...
Trois mois plus tard, lorsqu’un policier m’apporta
l’autorisation pour la musique*, alors que je remettais les clés à la préposée de
l’agence immobilière, chargée de la vente du pas-de-porte du 8, rue Brantôme,
** arrive un jeune homme souriant, ayant dans ses bras un magnifique
bébé. C’est bien lui, tout rayonnant : François Cochon ! Il
avait suivi mon conseil. La Mairie avait accepté le changement de nom ;
il s’était remis en ménage avec Martine ; reconnu l’enfant ; et avait
trouvé un emploi. Zut, j’ai oublié de lui demander son nouveau
nom !
Paris venait de m’offrir le plus beau cadeau d’adieu.
Je pouvais m’envoler vers les Bahamas, rejoindre
Jean-Louis, Céline et le Spirit of Sindbad (VIA 52 cotre, dériveur intégral en alu, le n° 5, sorti du Chantier du Havre en 1984 à Fécamp)
*Le 8 /8 / 1988, le soir même de
l’ouverture, il me fallait une autorisation
de la Préfecture pour produire de la musique en life (avec des musiciens). Le lendemain, je courrais à Versailles avec
ma demande en bonne et due forme. Il
faut savoir que le resto/ cabaret ne pouvait être attractif qu’avec les
animations d’artistes et musiciens.
Après quatre-vingt-dix jours d’attente, à cours de trésorerie et devoir
licencier les neuf collaborateurs, je sonnerai le glas de désespoir du
« Pacificfruit&music »
** Hélas, aucun acquéreur ne se présentera...et je serai acculé à déposer le bilan un an après.
Consolation, quelques années plus tard,
curieux de voir ce qu’était devenu ce rez-de-chaussée commercial... Bonheur : une supérette de fruits et légumes !
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