Bref ! Je disais donc en mars 1989, je
débarquais à l’aéroport de Nassau ;
Que je m’étais envolé loin de Bruxelles
et de Paris, la tête pleine de nouveaux rêves, vers le Sud-Ouest, les Bahamas, pressé
de rejoindre mon beau bateau, ohé ohé!
Oui, j’allais jouir enfin de l’instant magique
de ces lieux paradisiaques; rasséréné après les derniers tracas dus à ma
métamorphose du bourgeois, l’homme d’affaires sédentaire en artiste
nomade ; pouvoir contempler, pourtant relativement éloignée au milieu du
chenal, cette coque nacrée surmontée de son unique mât de vingt mètres
oscillant calmement comme un balancier. Soudain,
une tête apparut brusquement au-dessus du cockpit. Je reconnais la tignasse ébouriffée de
Jean-Lou. Moi qui suis tapi dans l’ombre
des plantes tropicales qui abondent à cet endroit du rivage, il ne peut
normalement me voir. Cependant, bien
avant que je manifeste ma présence, le voilà sautant dans l’annexe et, sans une
hésitation, se dirige droit sur moi à vive allure. Mystère que cet homme qui me surprendra
toujours.
Quelques heures après, nous enfilerons palmes et tuba pour aller
explorer par trente mètres de fond, un caboteur complètement réduit à l’état
d’un bloc de ferraille. Sa chaîne au
mouillage s’était rompue et la furie des vagues le projetteront sur les brise-lames.
Toute la nuit, paraît-il, les chocs sourds de la coque en acier se démantelant
contre les rochers rythmeront dans un fracas infernal sans espoir d’aucune aide
des insulaires impuissants. En arrivant
la veille au soir à la barre du Spirit of
Sindbad, par quarante-cinq nœuds de vent, Jean-Lou s’étonna de constater ce
cargo qui restait au mouillage à l’extérieur du canal plutôt qu’à l’abri dans
le chenal protégé par les digues. Six
hommes d’équipage. Un seul a
survécu. Il n’était pas à bord, mais au
bistrot. Eh oui, « Le bistrot, c’est la vie ! » Le chien Dalmatien mentionné dans le premier
chapitre, c’est dans cette traversée où, dès mon arrivée, après cette plongée
en apnée, nous avions levé l’ancre pour voguer calmement vers la Floride. En oubliant le 8, rue Brantôme du 4ième
Ar. de Paris, près du Centre Pompidou, suite à la faillite de mon resto « Le Pacific Fruit et Music ». Ma formule aurait dû conquérir le cœur des
Parisiens. Mais trop de grains de
sable, dans le rouage de cette nouvelle entreprise, épuisèrent mes moyens
financiers. De plus, je venais d’être
condamné à régler près de quatre-vingt mille nouveaux francs au Conseil du
Prud’hommes au profit de trois musiciens haïtiens résidant à Paris qui devaient
normalement animer le Pacific Fruits &
Music. Mais au préalable, il me fallait obtenir les autorisations
de la Préfecture pour produire des orchestres sur scène qui arriveront trois
mois plus tard. Je ne comprendrai toujours pas cette
sentence de justice, pourtant plaidée par Maître Albert, mon défenseur. Il n’y
avait aucun contrat signé, juste d’attendre le feu vert administratif de la
ville de Paris pour commencer leur prestation.
Très souvent ils partagèrent ma table en toute amitié ; Ils le savaient qu’il
fallait attendre les autorisations de la Préfecture et de toute façon, ils
étaient libres d’aller où bon leur semble, sans se sentir forcés de rester à ma
disposition. Derrière mon dos, ces
sympathiques compagnons m’assignèrent. Ego te absolvo chers amis haïtiens, mais
aussi ce Tribunal. Un
commerçant Belge, devait-il casquer pour des pauvres Haïtiens ? J’en fus
époustouflé. Frustration totale ! Au
bout de trois mois d’exploitation dans ce décor qui rappelait une cabane
antillaise, où hélas !, manquait le charme d’un groupe jouant du zouk qui devait
donner l’impulsion nécessaire au lancement du resto-cabaret, j’ai dû licencier
les huit collaborateurs – cuisiniers, serveurs, barmaid-caissière. Mes réserves étant épuisées, je fermerai les
portes du Pacific Fruit et Music sans
plus d’espoir. Ironie du sort, le jour même, où je confiais les clés à la dame
de l’agence immobilière pour revendre le fonds de commerce, un policier vint m’apporter
les autorisations!
« -
Non merci, cher Monsieur l’agent, je
n’en ai plus besoin, je viens de fermer l’établissement. »
J’y
croyais encore…de pouvoir récupérer une certaine somme sur mon investissement de
plus de deux millions de francs français.
Hélas !, après une année d’attente, pas un seul candidat à la
reprise…Et vu le loyer exorbitant, le Pacific Fruits&Music sera finalement
acculé à être la quatre-vingtième faillite dans ce quartier de l’Horloge annexé
au Centre Pompidou. Mauvais
quartier ? Peut-être! Le drame de ces ajouts aux centres commerciaux,
les loyers sont aussi chers, mais les clients restent au cœur même plus animé. In fine
adieu Paris !
Et, maintenant, après toutes ces années,
que je couche mes soubresauts de mémoires encore intactes sur la Toile, comme
disait Montaigne, ne sommes-nous pas les seuls responsables de nos actes ?
Ne fallait-il pas mieux m’informer et être sûr de mon investissement, avant de
me lancer tête baissée dans l’installation d’un resto-cabaret, aussi louable
qu’était la formule d’aliments cent pour cent bio, en plein Paris avec des
loyers quasi inabordables?
Néanmoins, j’ai gardé de bons
souvenirs. Le salon de Jacques Dessange, mon voisin, est situé
juste au-dessus du Pacific Fruit et Music. Philippe, le gérant, malgré mon insistance,
refusait systématiquement mon argent pour mes coupes de cheveux. Encore si ce n’était qu’une fois où je
m’étais incliné face à son argumentation, mais les deux fois suivantes, il
tenait le même discours :
-
À Paris, on n’a jamais vu un
commerçant offrir des cornets de glace à une colonie d’enfants.
- Oh tu
sais, il ne m’a fallu qu’un petit clin d’œil et un appel du doigt ! Comment voulais-tu que je résiste à leur envie
qui se lisait dans leurs yeux en coin, osant à peine tourner la tête vers
moi ? Ils avaient l’air si sages,
si soumis aux ordres des deux monitrices qui leur criaient d’avancer sans
s’arrêter devant ma charrette de glacier aux allures foraines et bien tentante. Ce fut une explosion de joie dès que j’ai
tendu le premier cornet. Un spectacle
qui valait bien plus que le prix de revient d’une cinquantaine de boules de
crème vanille et chocolat. Magique !
- Oui, du salon, nous avions remarqué.
Philippe fait partie de ces
personnalités qui me feront regretter Paris. Des années plus tard, alors que
j’étais de passage à Paris et curieux de voir ce qu’était devenu le
rez-de-chaussée où a vécu l’éphémère « Pacific
Fruit et Music », j’eus le bonheur d’y voir à la place une supérette
vendant des fruits et légumes. Question fruit, mon enseigne avait donc laissé
quelques gènes. Le salon Jacques Dessange
s’était déplacé à la rue de Rivoli, ce qui ne m’empêcha pas d’aller saluer mon
ami Philippe. Il me prend à part :
- Je ne
comprends pas pourquoi tu as arrêté si vite le « Pacific Fruit et
Music » ? Je te vois encore sur la scène avec ta
guitare et ce défilé de mode de cette jeune créatrice de Liège de haute couture
devant presque six cents Parisiens.
C’était le succès !
Cette date d’ouverture : le huit du huit quatre-vingt-huit
(8-8-88), n’était-ce pas de bon augure ?
-
Oui, le minitel avait bien
travaillé grâce aux nouvelles collaboratrices parisiennes. Si tu voyais la facture ! Et tu dois bien le savoir, quand c’est
gratuit, le monde afflue.
-
Non, ce
n’est pas systématique, il y avait vraiment de la magie. L’enseigne, le décor, ces jolis mannequins,
ce groupe djembé qui t’accompagnait et ce décor de cabane antillaise avec
toutes ces plantes exotiques. Tout le
monde semblait ébahi.
- Mais ce que tu ne sais pas, c’est que le soir
même la police est venue m’avertir qu’il fallait une autorisation pour la
musique. Ils ont quand-même été sympas pour l’ouverture, mais je devais me
mettre en règle, ce que je fis directement, croyant que cela prendrait quelques
jours. Ils me l’ont finalement apporté
trois mois après. Sans la musique, le
concept n’avait rien de vraiment original : un resto comme tant d’autres ;
bien que, à deux reprises, l’hebdomadaire du Figaro Magazine, dans leur
rubrique gastro, nous congratula de la seconde place des meilleures tables dans
le troisième et quatrième arrondissement.
- Et tu avais du beau monde. J’ai quand-même remarqué que Catherine Lara
venait assez régulièrement avec d’autres gens du spectacle.
- Affirmatif, elle appréciait la cuisine sur
pierre, mais c’est aussi grâce à, Didier Pelletier, mon bras-droit, qu’elle
connaissait personnellement. Il avait participé
à l’aménagement de son appartement à proximité. De cette ouverture, j’en
garde néanmoins un beau souvenir : ce fut pour moi la consécration d’une
chanson « Ô Ville ! », présentée
devant un public parisien. Une
de mes toutes premières compositions, où il m’avait toujours manqué une rime à
« ville ». Celle-ci me sauta
aux yeux, vingt-deux ans plus tard, avec « Tchernobyl » quand explosa leur centrale nucléaire le 26 avril
1986.
Dans une ville de fracas où les chantiers battent
Le rythme des vies qui viennent et qui partent
Sous un ciel enfumé que percent des sirènes
D’ambulances folles, d’ambulances trop pleines
Pour faire face aux buildings, les petits toits des
logis
Veulent tenir bon mais craquent sans oraison
Refrain :
La ville se transforme et nous transforme
La ville change son cœur de pierre
La ville voudrait devenir énorme
La ville s’écoule vers une autre ère
Dans cette ville de fracas qui trop tôt nous réveille
On n’a plus besoin de réveille-matin
Des grues gigantesques nous tirent du sommeil
Et nous lâchent pêle-mêle aux ingrats lendemains
Les bosses et les fosses que l’on côtoie
Ressemblent à des tombes il ne manque que les croix
Dans cette ville de fracas de travail éternel
L’orgueil va bon train dans ces tours de Babel
On y chasse la nature à grands coups de pioches
On y chasse la vertu à grands coups dans les gosses
On y prend son parti se croyant libéré
Mais la pleine liberté c’est surtout d’être entier
Les besoins de la ville non contente des hommes
Pour jouer au Soleil s’en est prise à l’atome
Cette ville de lumière, nucléaire débile
N’a-t-elle rien compris après Tchernobyl ?
C’est aussi dans cette ville au service de Caïn
Que l’on dit à Dieu : « Non ! Retourne d’où Tu viens ! »
Epilogue :
Ô ville, cité d’autrefois, quelle que soit ta culture
Les rires d’enfants résonnaient dans l’air pur
Ô ville, toi qui servais la vie et protégeais nos
filles
Déterminais si bien la tâche et le maintien
Délimitais tes droits à de simples murailles
Ton cœur avec le nôtre battait dans tes entrailles
En musique, bien sûr !
".../...On y prend son parti se croyant libéré
Mais la pleine liberté, c'est surtout d'être entier.../... "
En musique, bien sûr !
Il y a un demi-siècle que j’avais créé cette chanson « Ô Ville ! » - je pensais déjà à la pollution, mais il me manquait une rime qui me vint d’un coup lors de la catastrophe de Tchernobyl en 1986. et voilà :
Ô ville!
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