dimanche 21 avril 2019

Mais Paris me fit aussi le plus beau cadeau.

 

Il y a aussi ce François Cochon – oui, vous avez bien lu -, c’est le patronyme d’un jeune homme, qui m’avait un peu intrigué à la sortie du RER à Saint-Germain-en-Laye.  Déjà par son habit, un gilet chamarré à boutons à l’instar de ceux que portent les barmen dans les hôtels de luxe.    Il m’avait demandé cinq francs.   Distraitement, je lui avais glissé une pièce de dix.   Voilà que mon quémandeur me propose un verre à la brasserie juste en face !

 

- Mais, ça va te coûter plus cher que cette petite obole ! rétorquais-je, sans trop m’attarder, en continuant vers l’endroit où j’avais garé la Renault 9 (j’évite de la prendre pour circuler dans Paris) …Et puis finalement, je m’arrête songeur : oui, intrigué aussi, par cette ressemblance avec Schubert, par son accoutrement, ses cheveux ébouriffés et ses petites montures de myope sur le nez...  Il avait peut-être besoin de parler...Rien ne m’empêcherait de régler moi-même les consommations. 

  - D’accord.

 Vu   que c’était l’heure du déjeuner, après les deux cafés et les blablas courtois, (je n’allais tout de même pas commander le menu du resto), et lui propose :

 - En moins de cinq minutes, en voiture on peut être chez moi, à Le Peck.  Si le cœur t’en dit, j’ai quelques œufs honnêtes qui n’attendent que nous.  

  Il est ravi, mais me demande de faire un petit détour par son appartement.  C’est déjà une bonne chose : pas un SDF – il n’en avait pas l’air de toute façon -.   Par contre chez lui, un amoncellement de vaisselle sale de plusieurs jours encombre et pas qu’à la cuisine.  Il tourne en rond, mais que cherchait-il ?   Bizarre !  Voulait-il montrer son désarroi...en pleine déprime, sans boulot, malgré son CAP de charpentier (ce qu’il m’avait appris dans la taverne) ?   Enfin, on ne s’attarde pas trop, et nous voilà chez moi.   Pendant que j’exerce mes talents de cuisinier pour une omelette aux tomates, mon hôte est assis au coin de la table et semble griffonner quelque chose sur un bout de papier ; il me le tend ensuite en baissant les yeux.  J’y lis : François Cochon. Cela me rend évidemment perplexe.  J’évite de faire le moindre commentaire. Et, ce frugal repas à peine terminé, poliment, il me demande :

Puis-je téléphoner ? 

 - Le téléphone est dans le salon...Sans être curieux, j’entends quand-même qu’il appelle un hôpital et demande à parler à une certaine Martine X qui est en maternité.  Conversation avec sa correspondante plutôt calme et rassurante.  Ah, je comprends mieux :  l’angoisse d’un futur papa !   Aussi j’enchaîne :

-  Alors, c’est ta compagne qui va accoucher ?

Ce n’est plus ma femme.

- Plus ? Comment ?  Elle va accoucher pourtant ; et tu l’appelles.

-  Ce n’est pas moi le père.  Nous sommes séparés depuis plus de neuf mois.

-  Oui, c’est dommage !  Hélas, ça arrive !   Mais alors, son nouveau compagnon ... Il doit être près d’elle en ce moment ?

C’était un jeune de seize ans qui s’est enfui.

- Alors j’imagine que ses parents sont près d’elle ?

- Elle n’a personne.  Elle est orpheline.

Quelques secondes de réflexion et j’enchaîne :

Faudrait peut-être bien que tu ailles la voir pour la réconforter, si elle est seule.

 Pas question, ce n’est pas mon problème !

- Ah bon !  Du coup j’explose.  -  Casse- toi…  Tu ne m’intéresses pas !  Et j’ajoute précipitamment en ouvrant la porte de rue :

 

Sois content !  Ce ne sera pas un petit Cochon qui va naître, mais un petit Jésus.  D’ailleurs, rien ne t’empêche d’aller changer ton nom.  Ce n’est pas de ta faute si l’un de tes ancêtres a fait en sorte qu’on l’appelle ainsi.  Je peux imaginer ta souffrance depuis ton enfance.  Les moqueries de tes compagnons de classe…ensuite à l’armée…et puis au boulot.  Je crois que tu en as bavé.  Va changer ton nom !  Appelle-toi « Chevalier » ou « Saint Joseph », puisque t’es charpentierEt casse-toi !

 Moins de cinq minutes après son départ.  On sonne à la porte.  C’est mon lascar qui revint penaud.

 -  Si tu m’accompagnes, je veux bien aller la voir.

-  Sans problème, on y va tout de suite.

  Je m’arrêterai chez une fleuriste et lui tend le bouquet.

 Tu lui donneras, sans dire que c’est de moi.

 Martine, la future maman est seule dans la chambre, allongée sur le lit, souriante en nous voyant.  Elle ne doit pas avoir beaucoup plus de vingt ans. L’accouchement devrait normalement avoir lieu le lendemain.  Je ne resterai que quelques minutes, prétextant un rendez-vous presque oublié.  Ils avaient certainement des choses à se dire...

 Trois mois plus tard, lorsqu’un policier m’apporta l’autorisation pour la musique*, alors que je remettais les clés à la préposée de l’agence immobilière, chargée de la vente du pas-de-porte du 8, rue Brantôme, ** arrive un jeune homme souriant, ayant dans ses bras un magnifique bébé.  C’est bien lui, tout rayonnant : François Cochon !   Il avait suivi mon conseil.   La Mairie avait accepté le changement de nom ; il s’était remis en ménage avec Martine ; reconnu l’enfant ; et avait trouvé un emploi.   Zut, j’ai oublié de lui demander son nouveau nom ! 

Paris venait de m’offrir le plus beau cadeau d’adieu. 

 Je pouvais m’envoler vers les Bahamas, rejoindre Jean-Louis, Céline et le Spirit of Sindbad

 

*Le 8 /8 / 1988, le soir même de l’ouverture du « Pacificfruit&music », deux agents au service de l’Ordre, sont venus m’annoncer qu’il[UW1]   me fallait une autorisation de la Préfecture pour produire de la musique en life (avec des musiciens).  Le lendemain, je courrais à Versailles avec ma demande en bonne et due forme.    Il faut savoir que le resto/ cabaret ne pouvait être attractif qu’avec les animations d’artistes et musiciens.  Après quatre-vingt-dix jours d’attente, à cours de trésorerie et devoir licencier les neuf collaborateurs, je sonnerai le glas de désespoir du « Pacificfruit&music »

 ** Hélas, aucun acquéreur se présenteront ...et je serai acculé à déposer le bilan un an après.

 Consolation, quelques années plus tard, curieux de voir ce qu’était devenu ce rez-de-chaussée commercial... Bonheur :  une supérette de fruits et légumes !


 [UW1]


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