Deux ans plus tôt
Du Coloba au Spirit of Sindbad… avec mes nouvelles
lubies :
« Les
Boat people du Vietnam »
La rencontre de Jean-Lou, le baroudeur des mers.
(Encore une fois,
je le répète : J’avais tout faux !)
Antibes fin Septembre 1987
J’adorais
mon Coloba, un motor-yacht de 57 pieds.
Il avait toutes les qualités nautiques qu’une famille puisse rêver pour
les vacances d’été : sillonner la Méditerranée au large, de l’Espagne à
l’Italie et des îles relativement proches.
Disons : naviguer en père peinard comme l’avait chanté Georges
Brassens. Mais cette famille venait de se briser. Pour vaincre cette solitude soudaine,
j’avais décidé de partir bien plus loin, franchir les océans. Il me fallait d’autres horizons. Un fait de
l’actualité de 1979 m’avait particulièrement frappé : des embarcations vétustes
au milieu de la Mer de Chine, au gré des flots, dans lesquelles se tassaient en
surnombre des familles vietnamiennes qui préféraient braver l’océan que les
Khmers rouges. J’avais
encore en mémoire ces images qui défilaient sur le petit écran : des
moribonds sauvés in extrémis. Ceux-ci
avaient de la chance puisqu’on les avait repérés. Sur le plateau de la chaîne, un jeune
médecin, Bernard Kouchner, est entouré de personnalités du cinéma : Simone
Signoret et Yves Montand, mais aussi d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre,
Raymond Aron, André Glucksmann. En 1978, avec M.S.F. (Médecins sans
frontières), ils avaient constitué un comité de soutien sous le thème :
« Un bateau pour le Vietnam ». Ce qui permit d’affréter un cargo-caboteur
néo-calédonien en navire-hôpital, « Île de lumière ». François Herbelin, un Breton de vingt-neuf
ans, en sera le capitaine. Il s’agissait
de soigner les victimes, sauvées in extremis. Ce passage à la télé avait pour
but de récolter des fonds…afin que cette clinique temporelle et flottante
puisse assister, durant un mois supplémentaire, les plus de vingt mille boat
people agglutinés sur la minuscule île malaise de Poulo Bidong …le temps
de terminer la construction en bois de l’hôpital insulaire.
En ce
temps des « Trente glorieuses », les pays hôtes avaient organisé,
avec d’excellents résultats, l’accueil de ces dizaines de milliers d’immigrants. Ces ressortissants, devenus des citoyens
à part entière, contribuèrent très positivement à l’épanouissement des nations
qui leur avaient ouvert leur cœur. Hélas,
pour en revenir à cette époque de l’après-guerre au Viêt-Nam, ces eaux
extrême-orientales étaient toujours le théâtre de ces drames ! Combien de ces canots ont disparu avec leur
cargaison de femmes et enfants ?
Les lois
de la mer obligent à porter secours à toute personne en péril ; mais sur
ces immenses étendues d’eau à l’infini, rodaient aussi les hors-la-loi (de la mer aussi) qui pillaient et massacraient … sauf les jeunes
filles enlevées qui représentaient une certaine valeur pour les bordels. Pourquoi, à l’instar de Bernard Kouchner et
tous ses secouristes n’irais-je pas aussi au secours de l’une ou l’autre
famille perdue en Mer de Chine ?
Celui qui sauve une vie, sauve le monde entier, n’est-ce-pas ?
Pour un tel projet, il me fallait un
bateau capable d’une plus grande autonomie que celle des quatre cents miles du Coloba.
En Méditerranée, cette distance est appréciable, mais insuffisante pour
traverser l’Océan Indien. Un voilier
hauturier ferait l’affaire pour y amener une équipe de volontaires qui auraient
souhaité se joindre au projet. À quai, côté bâbord du Coloba, un catamaran
Solaris de 12 mètres attendait un nouvel acquéreur, peut-être celui de
Coluche qui venait de nous quitter. Triste
destin pour le comédien, humoriste, humaniste : avoir un bateau et
préférer cette moto fatale, plutôt que naviguer comme Antoine! L’amour de l’un pour les petites gens valait
bien celui de l’autre pour les grands espaces.
Avec du recul, aujourd’hui, nous constatons que la mort n’a pas mis fin à
ses projets. Bien au
contraire ! Ah, ces artistes
prophètes envoyés des cieux !
Ce genre de voilier à deux coques, d’élégance douteuse, ne m’attirait
pas particulièrement. Du fait de sa
proximité, j’ai eu l’occasion de le visiter et fus franchement impressionné par
son espace convivial. Je voyais déjà où
poser la machine à écrire*... et finalement pourquoi pas ? Son prix était intéressant.
*C’était ma période d‘addiction à l’écriture. Une véritable fièvre ! Après nos dernières vacances ensemble sur la
Côte d’Azur, sans moi, mon épouse était repartie avec Laurent et Barbara pour
la rentrée scolaire. Cette fois,
celle-ci aurait un autre goût : leurs parents se séparaient. Pour faire face à cette solitude soudaine, en
cette fin d’été 1987, je m’étais mis à noter tout ce qui me passait par la
tête.
Il me
semble tant que la plaie de la rupture n’est pas cicatrisée, les conjoints ont
besoin de se parler, ne serait-ce que pour se rassurer quant à leur avenir respectif. Conversation téléphonique en général. Et, bonjour la facture de la
régie ! Avant tout les enfants…
mais, il y a aussi les biens à se partager.
Hélène gardait la maison, la Rolls décapotable, moi le bateau et… mon
vélo. C’était clair, même avec plus de
mille kilomètres entre nous pour lui faire part de mes intentions. Elle m’interrompit tout de suite.
- D’accord, mais les
côtes vietnamiennes ne sont pas des endroits aussi paisibles que la Ligure ou
la Côte d’Azur. Trouve au moins un
marin qui connaît ces régions.
- Ce n’est tout de
même pas ici à la Côte d’Azur parmi ces jolis thorax que je vais trouver un
François Herbelin (dixit : le capitaine d’Île de lumière)! Un skipper avec une telle expérience ne
traîne pas dans ces ports de plaisance, et il faudrait qu’il soit aussi fou que
moi pour ce genre de périple.
- Méfie-toi des
mythomanes… les fabulateurs, en ce qui concerne les horizons lointains, ne
doivent pas manquer.
- Mais ils nous ont tout de même fait rêver. Depuis les récits d’un Marco Polo jusqu’aux
livres d’Henri de Monfreid et Jacques London ont tout de même suscité des
vocations d’aventuriers sur toutes les mers du globe.
- Tu parles d’une époque révolue. Les rêves aujourd’hui
prennent forme en parcourant les catalogues des agences de voyage.
Trop
fraîche cette rupture sans doute pour déjà laisser place à l’indifférence au
destin de l’autre. Elle semblait
s’inquiéter vraiment du projet qui me tenait à cœur. Était-ce la douleur de cette cassure qui
m’aveuglait au point de me lancer un tel défi ? Chercher ces boat people qui s’aventuraient
sur l’Océan Indien…peut-être quelques vies à sauver. Oui, Bernard Kouchner, par le jeu des médias,
avait réussi à me sensibiliser.
Ce n’est
pas que je voulais en rajouter à ces témoignages diffusés en France et en
Belgique.
Déjà à l’époque,
avec la guitare, j’avais commencé à fredonner une mélodie, inspirée de
« Madame Butterfly » de G. Puccini.
Je me rappelais cette scène où notre héroïne contemple la mer scrutant l’horizon,
espérant voir au loin les voiles du vaisseau de son beau capitaine revenant
vers elle :
« …Sur la mer calmée… »
Enfant, je ne me lassais pas d’entendre ma
mère, chanter ce passage, tenant son ventre pour rassurer, Paul, le prochain bébé
qui gesticulait de bonheur sans doute, au son de la voix soprano, en duo avec
le violon de papa. Par ses mimiques,
imitant à l’archet le chant du rossignol ou du canari, nous éclations de
rire. De notre fratrie, le cadet est celui
qui a le plus l’oreille musicale. Il choisit
la percussion. Curieux
paradoxe ! Lui, qui est né au début
des années 50 dans la douceur des mélodies, avant le rock, est attiré par des
rythmes plutôt endiablés. Moi, qui
naquis sous les bombardements et le martèlement des bottes nazies, j’aime les
complaintes douces à la
guitare ou au piano, même si les scènes ne sont pas toujours très réjouissantes,
comme ce tableau :
« …/
Les flots tumultueux ne sont pas les seuls ennemis.
Séquelles
des guerres du Vietnam : des pirates thaïs.
Oui,
l’océan et les hommes se partagent les corps ;
Le
commerce des femmes va bon train dans les ports. /… »
D'accord,
ces bateaux à la dérive dans l’Océan Indien étaient loin de l’Europe. N’avions-nous pas subi notre lot de
drames : 14-18, le génocide arménien, la guerre d’Espagne, peinte dans son
extrême violence sous le nom de Guernica par Picasso ; la Shoah, dont on
voit bien qu’après soixante-dix ans les juifs sont toujours sous le
choc ? Aujourd’hui, trente ans
après cette conversation téléphonique avec Hélène, j’assiste impuissant, à ce
même phénomène en Méditerranée : des populations fuyant des États en
guerre et corrompus, où l’injustice, la dictature et la cruauté règnent en
maître. Ils s’entassent en surnombre
dans des embarcations plus que douteuses.
À qui profite le crime ? Marchands et fabricants d’armes ou de canots pneumatiques,
comme cette consule honoraire commerçante à Bodrum en Turquie (qui bien sûr
sera destituée par son pays : la France scandalisée !), spéculations
boursières, actualité médiatique, passeurs d’hommes. Hélas, au patrimoine génétique de l’humanité,
il faut aussi compter avec l’opportunisme mafieux ! Est-ce un mal nécessaire pour que triomphe
le bien ?
(à
demain…)
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