René et moi, nos
vacances d’été à la fermette de marraine Esther…
« - Vous voyagez avec
des femmes !...
Et en cette fin des années
quarante sur le petit quai de Corroy-le-Grand, des moments de bonheur qui se
renouvelleront chaque été, aux grandes vacances jusqu’à notre adolescence.
La voie ferrée du tram vert, venant de Chaumont-Gistoux,
tirée par la petite locomotive à vapeur (plus tard l’autorail jaune
diesel), longeait le ruisseau, baptisé « le Train » qui coulait à
moins de 20 mètres du porche de la fermette. Nous sautions avant l’arrêt pour nous
précipiter dans les bras rugueux de marraine Esther, septuagénaire, l’aînée d’une
fratrie de douze enfants dont Georges, notre grand-père (que nous n’avions pas
connu), en était le cadet. On s’empressera
de découvrir la basse-cour, les poules, les agneaux gambadant, les petits
cochons à peine nés et les vaches paisibles occupées à ruminer.
Vers mes vingt ans, ayant acquis une Harley
Davidson (elles se vendaient pour rien à l’époque, venant des stocks de la
gendarmerie qui les remplaçait régulièrement), accompagné de Lydia, ma fiancée,
nous sommes descendus à Corroy-le-Grand.
Les deux grands-tantes, Esther et Élise,
devenues veuves, vivaient ensemble.
Hélas ! Alzheimer pour
Esther qui fit visiter gentiment le potager à ma compagne. Par contre la tante Élise, je ne l’avais pas
encore dit, avait gardé son mauvais caractère.
« - Vous voyagez avec
des femmes !, s’exclama-t-elle,
comme seul bonjour. C’est vrai qu’elle
pouvait m’en vouloir. Au moins cinq ans
sans ne plus aller la voir, l’ingrat que j’étais, malgré tout l’amour qu’elle
nous prodigua à René et moi quand nous étions des mômes.
Mauvais caractère, depuis sans doute que feu son mari, notre
oncle Richard Dorval, qui nous adorait ;
qui nous offrait des jouets, fabriqués de ses mains ; qui nous portait sur ses épaules jusqu’à la
Grande foire du Midi, ou, nous emmenait en
tram, jusqu’à l’Hippodrome de Boitsfort
- gérant de l’agence Rossel ( comptoir pour
les paris sportifs, football et courses hippiques), rue
Théodore Verhaegen à Saint-Gilles – cet
homme que nous aimions tant, suite à une aventure extraconjugale !
Qu’est-ce qui peut passer dans la tête d’un homme pour tromper une femme
pourtant si belle? Tout en continuant à vivre ensemble sous le
même toit, nous souffrions de cette ambiance glacée, sans la moindre
conversation, sauf parfois quelques mots haineux. J’avais quinze ans, en interne au Collège
Sainte Gertrude à Nivelles, occupé à chanter sur la scène dans le réfectoire,
transformé en salle de fêtes, devant les frères-abbés- professeurs et les
élèves réunis :
« Quoi de plus
doux de plus tendre que le cœur d’une maman
/ Qui donc sait mieux nous
comprendre, consoler tous nos tourments »,
lorsqu’apparurent ma mère
et mon père pour annoncer le décès d’oncle Richard. Âgé de soixante-trois ans, ce sosie de
Sacha Guitry, disparu depuis quelques jours, fut retrouvé à la morgue de
l’hôpital Molière. Sa maîtresse l’y avait
conduit mourant. Qu’est-ce que j’ai pleuré
alors ! Peut-être un peu pour ce
gentil oncle et parrain de Claudine, la petite sœur, mais surtout suite à
l’émotion de cette maman qui entrait à l’improviste pendant mon interprétation
de cette chanson.
Un chien seul sur une île
déserte !
C’est vrai, qu’on peut être
ingrats, nous les enfants. Combien d’années étaient passées sans que j’aille
voir cette vieille tante avec un petit bouquet à la main !
Non, fier comme un
gendarme se pavanant sur sa moto rutilante et en plus avec cette créature trop
maquillée au goût de l’octogénaire, j’arrivais à
l’improviste! Je dois préciser qu’on n’usait pas du « Tu »
chez les Fronville. Trente ans plus tard, il m’arrivera
de balader mon chien dans ces lieux où s’étendaient les champs de blé à perte
de vue, qu’au loin des rangées de peupliers semblaient vouloir
délimiter. Gentils souvenirs aussi, ces dimanches après-midis après
les vêpres où Monsieur le Curé, comme le disait avec respect les villageois
d’alors, conduisait les enfants sages du village, en remontant d’abord la
vieille chaussée romaine jusqu’aux chemins de terre des environs, pour nous
plonger avec délice dans cette immense mer de blés d’or vibrante sous le vent.
Près des meules de foin nous jouions à cache-cache en taquinant Bobette, la
seule fillette qui avait eu l’audace de nous accompagner. Du curé de
campagne, je composerai au début des années quatre-vingt-dix une chanson sur
une petite île déserte des Caraïbes ; et une autre juste après :
« le Paumé ». Car il fallait l’être pour imaginer
une telle complainte, sur une plage où j’avais décidé de passer la journée pour
récupérer un chien abandonné.
- Ola
Jojo ! Tout cela devient hard. D’abord ton titre « J’avais tout faux »
où tu parles de ton épouse qui aurait trois ans à vivre…que fou de douleur,
comme un limier tu te lances à la recherche pour trouver les causes de sa
maladie…On peut comprendre que tu fasses un bond depuis ta naissance pour un
peu te décrire : les bombardements à Bruxelles pendant l’occupation
allemande, le voyage en train vers le
Portugal, avec les croquis dessinés par
ton père, de l’implantation de cette usine réquisitionnée par la Luftwaffe dans
tes couches culottes… le retour après la
guerre de ta mère avec toi et ton frère et ce mauvais passage à Nivelles …les
mômes qui sautent du vicinal à vapeur à Corroy-le-Grand pour se précipiter à la
ferme de la marraine Esther…et puis il y
a l’Harley et maintenant cette île des Caraïbes avec un chien « Robinson
Crusoé »…
- Voilà, nous y
sommes ! C’est peut-être ici que le
titre « J’avais tout faux » pourrait prendre sa source…que j’aurais
dû me rendre compte de l’une de mes premières erreurs : cette faiblesse de ne pas croire en mes
propres capacités sur mon propre bateau dont un autre, véritable mythomane,
profitera. Déjà par le nom « Spirit
of Sindbad », nom que Jean-Louis Buclain, baroudeur des mers, me proposa
et que je n’avais pas réfléchi aux conséquences. Nous y reviendrons …Juste ce petit passage
sur cet ilot à quelques miles de Nassau dans les Caraïbes et ensuite je
reviendrai sur ma piste : à la recherche des causes de la maladie.
En effet, à bord du Spirit of Sindbad au mouillage la veille, à l’abri du vent pour passer la nuit, en scrutant la mangrove aux jumelles, mon regard fut attiré par une petite croix plantée dans le sable. Ma curiosité évidemment m’y conduira voir pourquoi. Sur ce symbole était planté un petit écriteau, demandant de donner à boire et à manger au « lonely dog ». Effectivement, on pouvait apercevoir tout autour des traces de pattes de chien. Le lendemain matin, je demanderai à Jean-Loup, le marin, de me laisser sur l’île. Pas question de lever l’ancre sans avoir essayé d’attraper cet animal. Avait-il survécu à un naufrage ou simplement sauté par-dessus bord d’un bateau ? En tous cas, quelqu’un de bien intentionné avait mis cette pancarte. Mais pourquoi n’avait-il pas ramené le chien ? Je le comprendrai plus tard. À moi de jouer pour la suite, sans pouvoir compter sur l’aide du skipper qui détestait les clebs domestiques devenus totalement dépendants des hommes, « - Alors qu’il y a tant d’enfants qui meurent de faim », disait-il.
Pour passer le temps, peut-être toute la journée à guetter le quadrupède, la guitare serait une bonne compagne. En quelques accords, à l’ombre de la mangrove, sur cette plage des Caraïbes, cette chanson est née.
(Hélas, impossible de récupérer le chien ! Revenu au bateau à la nage, laissant la guitare sur la plage, je viendrai plus tard la chercher avec le Zodiac. Aux jumelles, du bateau, j’ai pu apercevoir le chien venu renifler et lever la patte sur l’instrument à cordes. C’était un Dalmatien - mâle, vous l’aurez deviné ! - qui ne voulait plus approcher les humains ou le bateau, et / ou, plus sûrement, cette association des deux.)
J’ai beau avoir passé l’âge Je me souviendrai toujours
Du bon curé de village qui nous sortait du bourg
C’était après les vêpres le dimanche bien sage
Sérieux tout en prière, on aurait dit des anges
Pourtant un peu gaillards quand il était en retard
On se partageait l’hostie derrière la sacristie
C’était le corps du Bon Dieu qui avait-il de mieux ?
Le bon curé de campagne nous emmenait au loin
Jusqu’au pied de la montagne le plus petit par la main
Il parlait du Bon Dieu de Jésus, de Marie
Perplexes mais bien curieux de celle qui fut bénie
Car nous un peu canailles on se cachait dans la paille
On taquinait les filles avec des brins d’orties
Nous étions des enfants encore bien innocents
En bicyclette parfois derrière le pèlerin
Pédalant à tout va à travers les chemins
Quand on voyait une croix exprimant notre foi
On se mettait genoux à terre on récitait le Pater
Mais nous les polissons qui parlions au Bon Dieu
On dégonflait les pneus de l’homme de religion
Et puis en confession c’était la punition
Bien des années plus tard je suis retourné voir
Toujours les mêmes vieux mais un peu moins de Bon Dieu
Les enfants sont partis sans le moindre sursis
Vers les banques, les usines… Ils sont partis à la ville
L’école abandonnée l’église dépenaillée
C’était la décision des agglomérations
Toutes les portes fermées je dérangeais l’émission
Et puis encore plus tard je passai par hasard
Dans le petit village et quel heureux présage
Comme le cycle des saisons les petites habitations
Hébergèrent de nouveau de tout- petits poupons
Des enfants dans les cours on ressentait l’amour
Je crois que le Bon Dieu est revenu un peu
Il ne manque que le curé pour les emmener au blé
Il y a encore au monde beaucoup de petits villages
Où des petits vieux attendent fidèles à cette image
Du bon curé de campagne nous emmenant au loin
Jusqu’au pied de la montagne le plus petit par la main.
Le plus petit par la main.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire