vendredi 4 mai 2018


Frère Président Macron en visite en Nouvelle-Calédonie en ce début de mai 2018

Du coup ça me replonge dans mon passé à bord de mon bateau.
En 1991,  oui,   le « Spirit of Sindbad » mouilla  en face des plages de Ouvéa, une des petites îles extrêmes de la Nouvelle-Calédonie.  Il paraît que nous étions le premier voilier de plaisance  qui osa s’aventurer dans ces eaux de la Mélanésie depuis la révolte d’un mouvement kanak étouffé ici.     Nous irons nous  recueillir sur les dix-neuf tombes de ces jeunes Kanaks rebelles exécutés par un commando  de l’armée française le 5 mai 1988.     C’est vrai que ce n'était pas une bonne idée que de prendre des gendarmes en otages dans cette grotte de Ouvéa.  



      

Sur le quai  des familles entières attendaient le bateau de ravitaillement alimentaire venant de Nouméa.   Des mères avec leurs trois ou quatre bambins autour,  le plus petit dans les bras avec sa sucette en bouche.   Autant, quelques décennies auparavant, ces insulaires, presque alors à l’état sauvage et fiers,  se dressaient en  vaillants pécheurs avec leur lance,  plongeant  des falaises  dans les flots pour se nourrir principalement de poissons, autant en 1991,  ils attendaient mollement la malbouffe  industrielle continentale avec tous ses artifices quasi pervers.  Dans leur habitat,  des huttes en paille -  car ils avaient refusé des bâtisses en dur – ils disposaient en général  de grands surgélateurs,  télés et lecteurs vidéo pour les films pornos qu’ils raffolaient.   Le Cannabis  poussait un peu près partout,  jusque derrière le poste de gendarmerie (ce dernier entouré de sacs de sable,  d’où pointaient des mitrailleuses menaçantes). 

De mes souvenirs de Nouméa,  à l’époque où Monsieur Jacques Lafleur gouvernait ce  territoire d'outre mer, j'avais écrit ce poème  :

Nouméa, le 9 août 1991
KOKIBA MARU

« Le petit voilier bleu blanc auquel manquait le rouge,
Sans doute trop peu de sang pour que les gens bougent.
Comme une baleine mourante éventrée sur le rif,
Gisait là tristement par tribord lacéré de griffes. »




Pour nous ce n’était pas le grand départ encore
Mais à  huit heures ce matin nous sortions du port.
Paraît-il qu’à trois miles plus au sud  de Nouméa
S’est échoué, sur le corail, un plaisancier japonais.
Pas la peine de hisser les voiles !  Nous approcherons au moteur
Près du quillard blessé, grâce au faible tirant d’eau de notre dériveur.
Nous ne venions pas là par simple curiosité ; mais un élan tout naturel
Traça notre route vers ce petit équipage, victime des caprices du ciel.
C’était leur maison depuis douze ans.  Depuis la naissance du petit.

Que restera-t-il comme souvenir ?  Un naufrage ?  C’est comme un incendie!
Dans les cendres,  on farfouille le passé.  Une photo… peut-être un simple tract.
Enfin, nous les aiderons à transborder les quelques valeurs encore intactes !
Ce qui me frappa le plus,  fut l’allure de ce descendant de Samouraï
Que je découvrirai par la suite, quand il devra faire face à d’autres failles.
Non pas celles de quelques pilleurs attendant dans l’ombre à l’affût
Que l’âme de ce vaisseau brisé soit complètement disparue.
Peut-on leur en vouloir ? Est-ce vraiment grave ?
Par contre, plus officiel, un marchand d’épaves,
Jaloux du lien de sympathie du fait de notre intervention
Qui se matérialisa par quelques cadeaux utiles à la navigation,
Se servira des douanes pour mieux dépouiller l’homme.
Il vaut mieux franchement connaître le tarif à la tonne
De ce que coûte de couler dans les eaux françaises.
Ce disciple ou voisin de Lao Tsu payera la facture
Sans la moindre réaction délétère face à cette procédure.
Moi, j’aurais hurlé la honte pour ainsi sanctionner le malheur !
Cependant, à l’instant où ces mots allaient jaillir de ma plume,
Je réalisai la maîtrise de ce seigneur qui évitait ainsi toute rancœur,
Envenimant le monde et donc lui-même  des méfaits de  l’amertume.

À quelques brasses, pour l’exercice du matin,
Trois canots pneumatiques remplis de miliciens.
Une trentaine de bons gars.  Et je vous fais le pari,
D’aller pour le coup de main, ils en avaient envie.
L’armée  a ses priorités avant de jouer les bonnes sœurs !
Et, comme n’apparut aucun secours d’ailleurs,
C’est « Spirit of Sindbad » qui prit l’affaire en main,
Sans intérêt autre que de vouloir aider un marin.



Zut ! Ce n'est pas la bonne photo...



Ah !  Quelle pollution, s’écrient deux écolos -
Voyant s’échapper les quelques litres de fuel
Comme s’il s’agissait d’un énorme cargo.
Mais sans la moindre aide, partirent-ils à tire-d’aile,
Suivi d’un panache de fumée de leur moteur deux temps.

Il y a toujours, dans les moments les plus difficiles,
Des sots qui confondent les vrais problèmes existentiels !
La grande désolation à cet instant était cette souffrance
À peine dissimulée de ces navigateurs de plaisance,
Qui, quelques heures avant voguaient dans l’insouciance
Sur ce petit navire maintenant frappé de mort lente.
Enfin !  Le réconfort, c’est qu’eux soient vivants !
La mer impitoyable cette fois fut clémente
Se contentera de souffrir un peu comme d’habitude
De ces humains pas bien conscients, dont la multitude
De leurs erreurs finit par l’inquiéter vraiment.
La perplexité qui m’incita à écrire cette histoire,
C’est d’avoir constaté que personne ne prit part
À soulager des naufragés d’une manière spontanée.

Triste !  Oui, elle est triste cette Nouvelle Calédonie
Sous un règne autoritaire qui sape la moindre envie !
À Nouméa, actuellement,  c’est la pause.
Mais il faudrait peu pour qu’éclate leur cause :
Confrontation évidente de cultures incertaines,
Cependant que sans répit, gigantesques sangsues,
Les usines de nickel projettent, non sans peine,
Des tonnes de poussières rouges qui retombent dans les rues.
Est-ce l’effet de choc d’une révolution étouffée ?
Est-ce cette pollution pas très bien dissimulée ?
Est-ce le contraste de cet océan enchanteur ?
Toujours est-il qu’ici, la sueur a bien ce goût de rancœur.


   Mais pourquoi donc n'y suis-je pas resté à Nouméa? 

Comme ce jeune plombier parti seul du Havre,  sans la moindre expérience sur un petit Arpège  (sloop de  8 mètres)  avec sa trousse outils,  qui revendit son bateau sur place et a repris son métier sur l'archipel;   je n'oublierai pas tous ces amis insulaires sur le quai,  nous serrant contre leur cœur   quand nous larguerons les amarres, trois mois plus tard, cap sur l'Australie... avec ce sentiment de les abandonner,  eux si loin de la France;  cette  femme kanak venue s'asseoir en face de moi,  alors que j'écrivais ce poème sur une terrasse d'un bistrot...qui m'expliqua que son père était un chef de tribu (elle me prenait pour un officier français - je venais de me raser la tête et devais ressembler à un militaire) ,  mais un chef de tribu dont on n'avait jamais parlé...parce qu'il était un sage pacifiste...que cette lutte d'indépendance était surtout la recherche de la gloire pour la plupart - Non,  certainement pas Jean-Marie Tjibaou,  leur leader,  ancien prêtre et Pacifiste dans l'âme -.  


Ce 4 mai,  date  du décès (1989)  de Jean-Marie Tjibaou, leader kanak du mouvement indépendantiste,  tué à bout portant par un de ses compagnons d’arme, Djubelly Wéa, opposé aux accords de Matignon à l’époque de Michel Rocard,  premier Ministre sous la présidence de François Mitterrand.  

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