Frère Président Macron en visite en
Nouvelle-Calédonie en ce début de mai 2018
Du coup ça me replonge dans mon passé à bord de mon bateau.
En
1991, oui, le « Spirit
of Sindbad » mouilla en face des plages de Ouvéa, une des petites
îles extrêmes de la Nouvelle-Calédonie. Il
paraît que nous étions le premier voilier de plaisance qui
osa s’aventurer dans ces eaux de la Mélanésie depuis la révolte d’un mouvement
kanak étouffé ici. Nous
irons nous recueillir sur les dix-neuf
tombes de ces jeunes Kanaks rebelles exécutés par un commando de l’armée française le 5 mai 1988. C’est vrai que ce n'était pas une bonne idée que de prendre des gendarmes en otages dans cette grotte de Ouvéa.
Sur
le quai des familles entières attendaient
le bateau de ravitaillement alimentaire venant de Nouméa. Des mères avec leurs trois ou quatre bambins autour, le plus petit dans les bras avec sa sucette
en bouche. Autant, quelques décennies auparavant, ces
insulaires, presque alors à l’état sauvage et fiers, se dressaient en vaillants pécheurs avec leur lance, plongeant des falaises dans les flots pour
se nourrir principalement de poissons, autant en 1991, ils attendaient mollement la malbouffe industrielle continentale avec tous ses artifices quasi
pervers. Dans leur habitat, des huttes en paille - car ils avaient refusé des bâtisses en dur –
ils disposaient en général de grands surgélateurs,
télés et lecteurs vidéo pour les films pornos qu’ils raffolaient. Le Cannabis
poussait un peu près partout, jusque derrière le poste de gendarmerie (ce
dernier entouré de sacs de sable, d’où pointaient des mitrailleuses menaçantes).
De
mes souvenirs de Nouméa, à l’époque où Monsieur Jacques Lafleur gouvernait ce territoire d'outre mer, j'avais écrit ce poème :
Nouméa, le 9 août
1991
KOKIBA
MARU
« Le petit voilier bleu blanc
auquel manquait le rouge,
Sans doute trop peu de sang pour que
les gens bougent.
Comme une baleine mourante éventrée
sur le rif,
Gisait là tristement par tribord lacéré de griffes. »
Mais à huit heures ce matin nous sortions du port.
Paraît-il qu’à trois miles plus au
sud de Nouméa
S’est échoué, sur le corail, un
plaisancier japonais.
Pas la peine de hisser les
voiles ! Nous approcherons au
moteur
Près du quillard blessé, grâce au
faible tirant d’eau de notre dériveur.
Nous ne venions pas là par simple
curiosité ; mais un élan tout naturel
Traça notre route vers ce petit
équipage, victime des caprices du ciel.
C’était leur maison depuis douze
ans. Depuis la naissance du petit.
Que restera-t-il comme
souvenir ? Un naufrage ? C’est comme un incendie!
Dans les cendres, on farfouille le passé. Une photo… peut-être un simple tract.
Enfin, nous les aiderons à
transborder les quelques valeurs encore intactes !
Ce qui me frappa le plus, fut l’allure de ce descendant de Samouraï
Que je découvrirai par la suite,
quand il devra faire face à d’autres failles.
Non pas celles de quelques pilleurs
attendant dans l’ombre à l’affût
Que l’âme de ce vaisseau brisé soit
complètement disparue.
Peut-on leur en vouloir ? Est-ce
vraiment grave ?
Par contre, plus officiel, un
marchand d’épaves,
Jaloux du lien de sympathie du fait
de notre intervention
Qui se matérialisa par quelques
cadeaux utiles à la navigation,
Se servira des douanes pour mieux
dépouiller l’homme.
Il vaut mieux franchement connaître
le tarif à la tonne
De ce que coûte de couler dans les
eaux françaises.
Ce disciple ou voisin de Lao Tsu
payera la facture
Sans la moindre réaction délétère
face à cette procédure.
Moi, j’aurais hurlé la honte pour
ainsi sanctionner le malheur !
Cependant, à l’instant où ces mots
allaient jaillir de ma plume,
Je réalisai la maîtrise de ce
seigneur qui évitait ainsi toute rancœur,
Envenimant le monde et donc
lui-même des méfaits de l’amertume.
À quelques brasses, pour l’exercice
du matin,
Trois canots pneumatiques remplis de
miliciens.
Une trentaine de bons gars. Et je vous fais le pari,
D’aller pour le coup de main, ils en
avaient envie.
L’armée a ses priorités avant de jouer les bonnes sœurs !
Et, comme n’apparut aucun secours
d’ailleurs,
C’est « Spirit of Sindbad »
qui prit l’affaire en main,
Sans intérêt autre que de vouloir
aider un marin.
Voyant s’échapper les quelques litres
de fuel
Comme s’il s’agissait d’un énorme
cargo.
Mais sans la moindre aide,
partirent-ils à tire-d’aile,
Suivi d’un panache de fumée de leur
moteur deux temps.
Il y a toujours, dans les moments les
plus difficiles,
Des sots qui confondent les vrais
problèmes existentiels !
La grande désolation à cet instant
était cette souffrance
À peine dissimulée de ces navigateurs
de plaisance,
Qui, quelques heures avant voguaient
dans l’insouciance
Sur ce petit navire maintenant frappé
de mort lente.
Enfin ! Le réconfort, c’est qu’eux soient
vivants !
La mer impitoyable cette fois fut
clémente
Se contentera de souffrir un peu
comme d’habitude
De ces humains pas bien conscients,
dont la multitude
De leurs erreurs finit par
l’inquiéter vraiment.
La perplexité qui m’incita à écrire
cette histoire,
C’est d’avoir constaté que personne
ne prit part
À soulager des naufragés d’une
manière spontanée.
Triste ! Oui, elle est triste cette Nouvelle Calédonie
Sous un règne autoritaire qui sape la
moindre envie !
À Nouméa, actuellement, c’est la pause.
Mais il faudrait peu pour qu’éclate
leur cause :
Confrontation évidente de cultures
incertaines,
Cependant que sans répit,
gigantesques sangsues,
Les usines de nickel projettent, non
sans peine,
Des tonnes de poussières rouges qui
retombent dans les rues.
Est-ce l’effet de choc d’une
révolution étouffée ?
Est-ce cette pollution pas très bien
dissimulée ?
Est-ce le contraste de cet océan
enchanteur ?
Toujours est-il qu’ici, la sueur a
bien ce goût de rancœur.
Mais pourquoi donc n'y suis-je pas resté à Nouméa?
Mais pourquoi donc n'y suis-je pas resté à Nouméa?
Comme ce jeune plombier parti seul du Havre, sans la moindre expérience sur un petit Arpège (sloop de 8 mètres) avec sa trousse outils, qui revendit son bateau sur place et a repris son métier sur l'archipel; je n'oublierai pas tous ces amis insulaires sur le quai, nous serrant contre leur cœur quand nous larguerons les amarres, trois mois plus tard, cap sur l'Australie... avec ce sentiment de les abandonner, eux si loin de la France; cette femme kanak venue s'asseoir en face de moi, alors que j'écrivais ce poème sur une terrasse d'un bistrot...qui m'expliqua que son père était un chef de tribu (elle me prenait pour un officier français - je venais de me raser la tête et devais ressembler à un militaire) , mais un chef de tribu dont on n'avait jamais parlé...parce qu'il était un sage pacifiste...que cette lutte d'indépendance était surtout la recherche de la gloire pour la plupart - Non, certainement pas Jean-Marie Tjibaou, leur leader, ancien prêtre et Pacifiste dans l'âme -.
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