vendredi 5 janvier 2024

 

Souvenir des 4 janviers

 

Oui, je pense à Albert Camus, cette nuit du 4 au 5 janvier 2024.

  Quatre janvier 1960, le lauréat du prix Nobel en littérature (1957) et le fils Gallimard perdirent la vie dans la Facel Vega.  Un pneu éclaté, paraît-il.  Vu l’état du bolide écrasé, face au platane villeblevinois imperturbable, on peut imaginer l’allure excessive. Où devaient-ils se rendre si vite ?  L’auteur de « La Peste », - livre soudainement remis au goût du jour grâce (oui... état de grâce pour la planète aussi, pendant le confinement mondial obligatoire suite à cette pandémie en 2020) - était venu à Bruxelles en 1959.  Était-ce par hasard ou avait-il été attiré par ce slogan du Mouton d’or, sis à deux pas de la Grand-Place : « Manger portugais dans le plus parisien des restaurants bruxellois » ? Européen avant l’heure, le patron s’appelait Lucio.  Ex dessinateur, converti depuis peu en restaurateur sous le prétexte qu’ainsi ses six enfants n’auraient jamais faim.  Notre Papa portugais débarqua en Belgique à l’âge de neuf ans en 1929. Son père Dom Alfredo César Salles, ruiné par un incendie qui ravagea ses terres de Ribatejo au Portugal, fut engagé comme contre-maître par la société Macadam et participa à la création de la première autoroute du littoral belge (entre Nieuport et La Panne). Moi le deuxième de cette fratrie, lycéen à l’Athénée d’Ixelles, courait à l’heure du midi servir la centaine de plats du jour, dont l’un une fois à la table de l’écrivain.  Grande tristesse, quand j’appris sa mort accidentelle !   Bigre soixante-quatre ans déjà ! Quel âge ça me fait aujourd’hui ? In fine, je lirai tout Camus jusqu'à sa biographie écrite par Olivier Todd.  

Une autre nuit, celle du 4 au 5 janvier en 1991.   Je veillais en attendant Isabelle, infirmière de garde à l’hôpital d’Antibes, dans son studio face au Port Vauban. Ce sera notre première nuit (ou plutôt petit matin) d’amour.  On s’était rencontré dans la file d’attente à l’aéroport de San Diego, la capitale du Costa-Rica, un peu surpris de nous revoir par hasard. Elle avait passé quelques jours de vacances sur le bateau de sa sœur, amarré près du mien dans la baie de Golfito (lagon sur la côte du Pacifique), quant à bibi, juste un petit retour rapide pour embrasser ma famille en Belgique.  Sept ou huit heures au-dessus de l’Atlantique, une belle brunette de vingt-sept printemps à côté de ce quadragénaire bronzé, sûr que cela pouvait créer des liens de sympathie...Voir plus !   Escale à Marignane, elle vers Nice et moi pour Bruxelles.  Nous nous étions promis de nous revoir...et voilà trois jours plus tard, jusqu’aux urgences de la clinique où elle me remit les clés de son appart. Quelques heures à l’attendre... que faire ?  Tiens, et si j’écrivais un poème pour passer le temps, et je pense à Camus, ce fameux 4 janvier.  La télé est allumée.  Sur le petit écran apparaissent des soldats français en faction dans le désert irakien interviewés. L’armée de Saddam Hussein avait envahi le Koweït, et les Forces militaires alliées attendaient l’Ultimatum du 15 janvier, lancé par le président américain pour que l’envahisseur retire ses troupes de cet émirat riche en pétrole.

Et je commence par ce titre : « Cent vers pour le dire, il n’y pas d’ordre pour faire la guerre ».  J’écris vite d’une main tremblante.  Puis je compte curieusement le nombre de lignes.  Il y en avait exactement cent !  Il est presque cinq heures, Isabelle n’arrivera pas avant sept heures.  Au fond, Saint-Paul où habite Yves Montand, ce n’est pas très loin d’Antibes...et me voilà reparti à l’aube pour glisser dans la boite de la star, mon texte recopié ainsi qu’une K7 avec deux chansons : » « Un Homme, c’est naturellement bon » et « Halabjã », cette ville kurde près de la frontière iranienne où toute la population succomba, gazée par les fameuses bombes « moutardes » lancées par l’armée irakienne sous les ordres de Saddam Hussein.  Le célèbre chanteur aurait eu plus d’impacte que moi pour sensibiliser les masses. De retour à Bruxelles quelques jours plus tard, juste au moment où je pénétrais chez moi, le téléphone se met à vibrer... « Allo, pourrais-je parler à Georges Salles, ici Yves Montand..., non je ne chante plus (je lui avais demandé d’interpréter mes chansons) ... mais c’est pas mal ce que vous faites...n’abandonnez surtout pas … »

Le matin du 3 mars suivant, je pris la guitare et, sur la base de ce poème, naîtra cette complainte : « Ah, ces folies de l’humanité ! ».  Ensuite assez satisfait par cette inspiration étonnamment si facile à composer, j’allume la télé.   On annonce le décès de Serge Gainsbourg. « Pourquoi si facile, serait-ce lui qui me l’aurait soufflée ? » me suis-je demandé. Dès lors je l’intitulerai « Requiem du 3 mars » ou « Requiem Gainsbourg ».    L'armé irakienne venait d'être vaincue.  


Ah, ces folies de l’humanité !

 N’allez pas crier victoire
Parce qu’une guerre est terminée
 N’allez pas chanter la gloire
Même si on se croit du bon côté
N’allez pas pousser ce cri
De ceux qui pensent avoir raison
N’allez pas croire que l’autre religion
Soit la mauvaise parce qu’on l’a dit


Ah, ces folies  de l’humanité
Aux disparus qui ont résisté
Mais aussi la neutralité
Se cachant derrière l’épais brouillard
Du faire semblant de ne pas savoir
Aussi à ceux qui se prétendent
Dans  le défilé des pacifistes
Mais qui n’hésiteraient pas à pendre
Le premier venu à l’air fasciste


N’allez pas faire les vaniteux
Comme si c’était gagner un jeu
L’orgueil est là, c’est comme un rat
Qui ronge l’Homme sous son drap
C’est toujours lui, oui cet orgueil
Qui s’accroche en forme de médaille
Et suit nos morts sur leur cercueil
Comme s’il pouvait rendre l’éveil


Ah, ces folies de l’humanité
Qui  président à nos destinées
Et qui prétendent fondant les lois
Que le passé est la seule foi
Penser plus loin on ne le peut pas
Sacrifiant leurs fils sur la croix
Sourds et jaloux brisant les mères :
La concurrence de l’éphémère
Adolescent encore qui croît



Ah, ces folies de l’humanité
Qui peignent en noir toute l’Histoire
Brimant le rire comme un péché
Poussant l’enfant au désespoir
Face à l’absurde du Savoir
Marchez dans le rang sans protester
Et vous serez récompensés
Surtout ne pas imaginer
Pouvoir changer la société


Mais son déclin inévitable
Démocraties au ton affable
Par l’habitude trop confortable
Mène l’inconscience de la bonne table
Repus de chairs et de vins chers
S’endorment dans l’antre du cancer
Confiant leur sort aux militaires
Ne savent même plus aimer la Terre


Ah, ces folies de l’humanité
À ceux qui n’osent plus partir
À cause de ça, ne peuvent plus aimer
Parce qu’ils ont peur de mourir
Mais, sans cela comment venir

L’éternité ce n’est pas la joie
Laissons cela aux écritures
Encore faut-il qu’on ne les brûle pas
Que des ignorants clament l’imposture


Pour moi la seule qu’il faille bannir
C’est d’accepter « je dois tuer »
Surtout pas d’ordre pour faire périr
Alors viendra la Vérité
Que tous les hommes s’acceptent entre eux
Chacun ayant reçu des cieux
De protéger l’humanité
Suffit d’un peu les écouter…les écouter
Écoutez


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