Mais Paris me fit aussi le plus beau cadeau.
Il y a aussi
ce François Cochon – oui, vous avez bien lu, c’est le patronyme d’un jeune
homme, l’air d’un étudiant bien vêtu, pas l’apparence d’un clochard faisant la
manche. Il m’avait demandé cinq francs
à la sortie du RER à Saint-Germain-en-Laye, la bouche de métro qui jouxte
pratiquement l’enceinte du château où vivait Louis XIV avant de trôner à
Versailles. Machinalement, je lui avais
glissé une pièce de dix qui traînait dans ma poche. En regardant la pièce de monnaie et me
remerciant, à ma grande surprise, il me propose un verre à la brasserie juste
en face.
- Mais, ça va te coûter plus cher que
cette petite obole! rétorquais-je en
continuant ma route sans trop m’attarder vers l’endroit où j’avais garé ma
voiture (j’évite de la prendre pour circuler dans Paris) …et puis finalement je
m’arrête … Ce gars avait peut-être besoin de parler, …et rien ne m’empêcherait
de régler moi-même les consommations.
- D’accord, j’accepte ton invitation.
Nous
boirons tous les deux un café … et puis, je lui propose :
- En moins de cinq minutes, en voiture on peut être chez moi,
à Le Peck. Si tu veux, je peux préparer une
omelette.
Il acquiesce mais me demande de faire un petit détour à son
appartement. C’est déjà une bonne
chose : ce n’est donc pas un SDF – il n’en avait pas l’air de toute
façon. Par contre chez lui, dans la cuisine,
une vaisselle sale de plusieurs jours. Un
désordre qui trahit peut-être le désarroi d’un jeune homme en pleine déprime
sans boulot, malgré son CAP de menuisier-charpentier. On ne s’attarde pas, et nous voilà chez
moi. Pendant que je prépare une
omelette aux tomates, au coin de la table, il se met à écrire timidement sur un
petit bout de papier, qu’il me tend ensuite en baissant les yeux. J’y lis : François Cochon. Cette
attitude me rend évidemment perplexe et j’essaye de comprendre, mais je ne fais
aucun commentaire et le laisse terminer son omelette.
- Puis-je téléphoner ? me
demande-t-il.
- Le téléphone est dans le salon.
J’entends
qu’il appelle un hôpital et demande la chambre d’une certaine Martine X qui est
en maternité. La conversation de
quelques minutes avec sa correspondante est plutôt calme et courtoise. J’en conclus donc d’être témoin de l’angoisse
d’un futur papa et comprenais mieux le désordre dans son appartement. Aussi j’enchaîne :
- Alors, c’est ta
femme qui va accoucher ?
- Ce
n’est plus ma femme.
- Plus ? Comment ?
Elle va accoucher pourtant.
-
Ce n’est pas moi le père. Nous sommes séparés depuis plus de neuf mois.
- Oui, c’est triste
mais ça arrive assez souvent…mais alors son nouveau compagnon…il doit être
près d’elle en ce moment ?
- C’était
un jeune de seize ans qui s’est enfui.
- Alors j’imagine que ses parents sont près d’elle ?
- Elle n’a personne.
Elle est orpheline.
- Faudrait
peut-être bien que tu ailles la voir si elle est seule pour la réconforter.
- Pas question, ce n’est pas mon problème !
- Ah bon ! Du coup je
m’énerve. - Casse-
toi… Tu ne m’intéresses pas ! Et j’ajoute précipitamment en ouvrant la
porte de rue :
- Sois content ! Ce ne sera pas un petit Cochon qui va naître,
mais un petit Jésus. D’ailleurs, rien ne
t’empêche d’aller changer ton nom. Ce
n’est pas de ta faute si l’un de tes ancêtres a fait en sorte qu’on l’appelle
ainsi. Je peux imaginer ta souffrance
depuis ton enfance. Les moqueries de tes
compagnons de classe…ensuite à l’armée…et puis au boulot. Je crois que tu en as bavé. Va changer ton nom, appelle-toi
« Chevalier » ou « Saint Joseph » puisque t’es charpentier. Casse-toi !
Moins de
cinq minutes après son départ. On sonne
à la porte d’entrée. C’est mon
lascar qui revenait penaud.
- Si tu
m’accompagnes, je veux bien aller la voir.
-
Sans problème, on y va tout de suite.
Je m’arrêterai chez une fleuriste et lui tend
le bouquet.
- Tu lui donneras sans dire que c’est de moi.
Martine,
la future maman est seule dans la chambre, allongée sur le lit, souriante en
nous voyant arriver. Elle ne doit pas
avoir beaucoup plus de vingt ans. L’accouchement devrait normalement se faire
le lendemain. Je ne suis resté que
quelques minutes, prétextant un rendez-vous presque oublié, pour qu’ils se retrouvent
entre eux.
Trois
mois plus tard, lorsque cet agent de la Mairie m’apporta l’autorisation pour la
musique, alors que je remettais les clés à la dame de l’agence immobilière,
chargée de la vente du pas-de-porte du 8, rue Brantôme, arrive un jeune homme
souriant, ayant dans ses bras un magnifique bébé. C’est bien lui, tout rayonnant : François Cochon ! Il avait suivi mon conseil.
L’Administration avait accepté le changement de nom; il s’était remis en ménage
avec Martine, reconnu l’enfant, et avait trouvé du travail. Zut, j’ai oublié de lui demander son nouveau
nom !
Paris
venait de m’offrir le plus beau cadeau d’adieu.
Je pouvais m’envoler vers les Bahamas,
rejoindre Jean-Lou, Céline et le Spirit
of Sindbad…
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