jeudi 21 février 2019


Deux ans plus tôt
Du Coloba au Spirit of Sindbad… avec mes nouvelles lubies : 
« Les Boat people du Vietnam »
La rencontre de Jean-Lou, le baroudeur des mers.
(Encore une fois, je le répète : J’avais tout faux !)
Antibes fin Septembre 1987
J’adorais mon Coloba, un motor-yacht de 57 pieds.   Il avait toutes les qualités nautiques qu’une famille puisse rêver pour les vacances d’été : sillonner la Méditerranée au large, de l’Espagne à l’Italie et des îles relativement proches.  Disons : naviguer en père peinard comme l’avait chanté Georges Brassens. Mais cette famille venait de se briser.   Pour vaincre cette solitude soudaine, j’avais décidé de partir bien plus loin, franchir les océans.  Il me fallait d’autres horizons. Un fait de l’actualité de 1979 m’avait particulièrement frappé : des embarcations vétustes au milieu de la Mer de Chine, au gré des flots, dans lesquelles se tassaient en surnombre des familles vietnamiennes qui préféraient braver l’océan que les Khmers rouges.  J’avais encore en mémoire ces images qui défilaient sur le petit écran : des moribonds sauvés in extrémis.  Ceux-ci avaient de la chance puisqu’on les avait repérés.   Sur le plateau de la chaîne, un jeune médecin, Bernard Kouchner, est entouré de personnalités du cinéma : Simone Signoret et Yves Montand, mais aussi d’intellectuels comme Jean-Paul Sartre, Raymond Aron, André Glucksmann. En 1978, avec M.S.F. (Médecins sans frontières), ils avaient constitué un comité de soutien sous le thème : « Un bateau pour le Vietnam ».   Ce qui permit d’affréter un cargo-caboteur néo-calédonien en navire-hôpital, « Île de lumière ».  François Herbelin, un Breton de vingt-neuf ans, en sera le capitaine.  Il s’agissait de soigner les victimes, sauvées in extremis. Ce passage à la télé avait pour but de récolter des fonds…afin que cette clinique temporelle et flottante puisse assister, durant un mois supplémentaire, les plus de vingt mille boat people agglutinés sur la minuscule île malaise de Poulo Bidong …le temps de terminer la construction en bois de l’hôpital insulaire.
En ce temps des « Trente glorieuses », les pays hôtes avaient organisé, avec d’excellents résultats, l’accueil de ces dizaines de milliers d’immigrants. Ces ressortissants, devenus des citoyens à part entière, contribuèrent très positivement à l’épanouissement des nations qui leur avaient ouvert leur cœur.   Hélas, pour en revenir à cette époque de l’après-guerre au Viêt-Nam, ces eaux extrême-orientales étaient toujours le théâtre de ces drames !  Combien de ces canots ont disparu avec leur cargaison de femmes et enfants ?
Les lois de la mer obligent à porter secours à toute personne en péril ; mais sur ces immenses étendues d’eau à l’infini, rodaient aussi les hors-la-loi (de la mer aussi) qui pillaient et massacraient … sauf les jeunes filles enlevées qui représentaient une certaine valeur pour les bordels.  Pourquoi, à l’instar de Bernard Kouchner et tous ses secouristes n’irais-je pas aussi au secours de l’une ou l’autre famille perdue en Mer de Chine ?   Celui qui sauve une vie, sauve le monde entier, n’est-ce-pas ?
Pour un tel projet, il me fallait un bateau capable d’une plus grande autonomie que celle des quatre cents miles du Coloba.  En Méditerranée, cette distance est appréciable, mais insuffisante pour traverser l’Océan Indien.  Un voilier hauturier ferait l’affaire pour y amener une équipe de volontaires qui auraient souhaité se joindre au projet. À quai, côté bâbord du Coloba, un catamaran Solaris de 12 mètres attendait un nouvel acquéreur, peut-être celui de Coluche qui venait de nous quitter.    Triste destin pour le comédien, humoriste, humaniste : avoir un bateau et préférer cette moto fatale, plutôt que naviguer comme Antoine!   L’amour de l’un pour les petites gens valait bien celui de l’autre pour les grands espaces.   Avec du recul, aujourd’hui, nous constatons que la mort n’a pas mis fin à ses projets.  Bien au contraire !  Ah, ces artistes prophètes envoyés des cieux !  Ce genre de voilier à deux coques, d’élégance douteuse, ne m’attirait pas particulièrement.  Du fait de sa proximité, j’ai eu l’occasion de le visiter et fus franchement impressionné par son espace convivial.  Je voyais déjà où poser la machine à écrire*... et finalement pourquoi pas ?  Son prix était intéressant.

*C’était ma période d‘addiction à l’écriture.  Une véritable fièvre !  Après nos dernières vacances ensemble sur la Côte d’Azur, sans moi, mon épouse était repartie avec Laurent et Barbara pour la rentrée scolaire.   Cette fois, celle-ci aurait un autre goût : leurs parents se séparaient.  Pour faire face à cette solitude soudaine, en cette fin d’été 1987, je m’étais mis à noter tout ce qui me passait par la tête. 
Il me semble tant que la plaie de la rupture n’est pas cicatrisée, les conjoints ont besoin de se parler, ne serait-ce que pour se rassurer quant à leur avenir respectif.   Conversation téléphonique en général.  Et, bonjour la facture de la régie !  Avant tout les enfants… mais, il y a aussi les biens à se partager.  Hélène gardait la maison, la Rolls décapotable, moi le bateau et… mon vélo.   C’était clair, même avec plus de mille kilomètres entre nous pour lui faire part de mes intentions.   Elle m’interrompit tout de suite.
-   D’accord, mais les côtes vietnamiennes ne sont pas des endroits aussi paisibles que la Ligure ou la Côte d’Azur.   Trouve au moins un marin qui connaît ces régions.
-  Ce n’est tout de même pas ici à la Côte d’Azur parmi ces jolis thorax que je vais trouver un François Herbelin (dixit : le capitaine d’Île de lumière)!   Un skipper avec une telle expérience ne traîne pas dans ces ports de plaisance, et il faudrait qu’il soit aussi fou que moi pour ce genre de périple.
-    Méfie-toi des mythomanes… les fabulateurs, en ce qui concerne les horizons lointains, ne doivent pas manquer.
- Mais ils nous ont tout de même fait rêver.  Depuis les récits d’un Marco Polo jusqu’aux livres d’Henri de Monfreid et Jacques London ont tout de même suscité des vocations d’aventuriers sur toutes les mers du globe.
- Tu parles d’une époque révolue. Les rêves aujourd’hui prennent forme en parcourant les catalogues des agences de voyage.
Trop fraîche cette rupture sans doute pour déjà laisser place à l’indifférence au destin de l’autre.  Elle semblait s’inquiéter vraiment du projet qui me tenait à cœur.   Était-ce la douleur de cette cassure qui m’aveuglait au point de me lancer un tel défi ?   Chercher ces boat people qui s’aventuraient sur l’Océan Indien…peut-être quelques vies à sauver.  Oui, Bernard Kouchner, par le jeu des médias, avait réussi à me sensibiliser.
Ce n’est pas que je voulais en rajouter à ces témoignages diffusés en France et en Belgique.
 Déjà à l’époque, avec la guitare, j’avais commencé à fredonner une mélodie, inspirée de « Madame Butterfly » de G. Puccini.  Je me rappelais cette scène où notre héroïne contemple la mer scrutant l’horizon, espérant voir au loin les voiles du vaisseau de son beau capitaine revenant vers elle :
« …Sur la mer calmée… »

  Enfant, je ne me lassais pas d’entendre ma mère, chanter ce passage, tenant son ventre pour rassurer, Paul, le prochain bébé qui gesticulait de bonheur sans doute, au son de la voix soprano, en duo avec le violon de papa.  Par ses mimiques, imitant à l’archet le chant du rossignol ou du canari, nous éclations de rire.   De notre fratrie, le cadet est celui qui a le plus l’oreille musicale.   Il choisit la percussion.  Curieux paradoxe !  Lui, qui est né au début des années 50 dans la douceur des mélodies, avant le rock, est attiré par des rythmes plutôt endiablés.  Moi, qui naquis sous les bombardements et le martèlement des bottes nazies, j’aime les complaintes douces à la guitare ou au piano, même si les scènes ne sont pas toujours très réjouissantes, comme ce tableau :

« …/ Les flots tumultueux ne sont pas les seuls ennemis.
Séquelles des guerres du Vietnam : des pirates thaïs.
Oui, l’océan et les hommes se partagent les corps ;
Le commerce des femmes va bon train dans les ports. /… »

D'accord, ces bateaux à la dérive dans l’Océan Indien étaient loin de l’Europe.  N’avions-nous pas subi notre lot de drames : 14-18, le génocide arménien, la guerre d’Espagne, peinte dans son extrême violence sous le nom de Guernica par Picasso ; la Shoah, dont on voit bien qu’après soixante-dix ans les juifs sont toujours sous le choc ?  Aujourd’hui, trente ans après cette conversation téléphonique avec Hélène, j’assiste impuissant, à ce même phénomène en Méditerranée : des populations fuyant des États en guerre et corrompus, où l’injustice, la dictature et la cruauté règnent en maître.  Ils s’entassent en surnombre dans des embarcations plus que douteuses.

À qui profite le crime ?  Marchands et fabricants d’armes ou de canots pneumatiques, comme cette consule honoraire commerçante à Bodrum en Turquie (qui bien sûr sera destituée par son pays : la France scandalisée !), spéculations boursières, actualité médiatique, passeurs d’hommes.  Hélas, au patrimoine génétique de l’humanité, il faut aussi compter avec l’opportunisme mafieux !    Est-ce un mal nécessaire pour que triomphe le bien ?

(à demain…)

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